La nouvelle est tombée dans la nuit, sous un ciel turc déjà bien chargé. Vers 22 heures, le 13 octobre, après plus d’une semaine de débats, les députés de la majorité présidentielle ont adopté dans l’enceinte de l’Assemblée nationale un des projets de loi les plus critiqués et controversés de ces dernières années. Le texte et ses quarante articles forment un corset juridique indispensable, selon le gouvernement, pour lutter contre la désinformation et contre les fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Pour ses opposants, la loi vient, sinon achever, du moins étouffer encore un peu plus une liberté d’expression depuis longtemps à l’agonie.
Le texte adopté s’inscrit dans la droite ligne des nombreuses sanctions et restrictions infligées aux médias et aux journalistes turcs depuis une dizaine d’années. Il modifie plusieurs lois régissant la presse, la publicité et les médias sociaux. L’article 15 prévoit l’annulation de la carte de presse pour les journalistes qui agiront « contre les règles morales de la presse », sans plus de précisions. Le changement le plus controversé est l’article 29, qui s’inscrit comme un amendement au code pénal. Il permet de condamner à une peine allant de un à trois ans de prison toute personne ayant diffusé sur les réseaux une « information trompeuse » portant atteinte à « l’unité de l’Etat », « l’ordre établi » ou « divulguant des secrets d’Etat ». Une formulation suffisamment vague, comme l’ont fait remarquer élus, experts et organisations non gouvernementales, pour bâillonner un journaliste ou toute personne relayant une information gênante pour les autorités.
Les fournisseurs d’accès à Internet ou les plates-formes sociales seront sanctionnés s’ils refusent de livrer à la justice le nom de leurs utilisateurs
La loi exige formellement la levée de l’anonymat d’un internaute en cas de poursuites. Les fournisseurs d’accès à Internet ou les plates-formes sociales seront sanctionnés s’ils refusent de livrer à la justice le nom de leurs utilisateurs. Il est précisé qu’en cas de litige les autorités pourront être amenées à diminuer, de façon ciblée, la bande passante du réseau jusqu’à 90 %, voire à fermer l’entreprise ou sa succursale turque.
Dans un pays où la liberté n’est pas un mot en l’air, l’annonce du vote d’Ankara, à moins de huit mois d’une élection présidentielle à haut risque pour Recep Tayyip Erdogan, en net recul dans les sondages, a été suivie par un flot de commentaires rageurs et inquiets. Comme si l’empressement du gouvernement à boucler un dispositif visant de façon par trop évidente à circonscrire la parole critique avait lui-même libéré un ultime soubresaut d’expression contestataire.
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