Le PDG d’Intel a affirmé qu’il serait « enchanté » de produire des puces AMD. Marque du virage intellectuel et technologique très fort que M. Gelsinger essaie d’insufler à l’entreprise. Ce qui ne veut pas dire qu’il rendre les armes côté conception de puces.
Un processeur AMD fabriqué par Intel ? Pour les enfants des années 80, ce séisme serait comparable à l’arrivée des jeux de Sega sur les consoles Nintendo, ou à la manière dont Microsoft embrasse aujourd’hui Linux. Mais c’est pourtant une hypothèse qu’Intel prend très au sérieux.
Interrogé par The Verge sur la possibilité « de mettre un logo AMD sur une fab d’Intel », le PDG d’Intel Pat Gelsinger n’y est pas allé par quatre chemins :
« S’ils choisissent de fabriquer avec nous, je serai ravi de le faire. C’est ce qu’il faut à ce niveau. Ce sont de gros investissements, et ils sont importants pour la technologie – ils engendrent des communautés techniques. ».
Pat Gelsinger, interview The Verge
Gelsinger fait ici référence aux sommes colossales qu’il faut désormais débourser pour construire la moindre usine de dernière génération – aux alentours de 15-18 milliards de dollars par site ! Avec une structure où la conception et la production de puces sont si intriquées – même si M. Gelsinger veut faire évoluer le modèle – Intel a besoin d’argent. Notamment pour continuer de développer ses puces.
Car produire pour Qualcomm ou AMD n’implique pas, dans les propos de Pat Gelsinger, de jeter l’éponge sur la conception de puces. Loin de là :
« Ne faites pas d’erreur à ce sujet. Nous allons construire les ordinateurs hautes performances les plus rapides au monde, les GPU les plus rapides au monde et les GPU discrets les plus rapides au monde. Nous aurons également une continuité dans nos graphiques intégrés. […] attendez de voir Meteor Lake l’année prochaine. (Nos produits deviendront) assez intéressants, un peu comme l’a montré Apple. Je vois cette continuité, et nous allons être très compétitifs. »
Pat Gelsinger, interview The Verge
À la lecture de cette double volonté à la fois de devenir une usine neutre tout en restant le « king » des semi-conducteurs, une question brûle les lèvres. Est-il possible, pour une entreprise qui vend ses propres produits, d’attirer des clients dans ses usines sans leur faire craindre un espionnage industriel ? La réponse est oui, c’est possible. Car il y a déjà un exemple.
L’exemple de Sony Electronics
Pour trouver un exemple d’un fondeur capable à la fois de vendre ses composants et de les produire pour les autres, il suffit de se tourner vers le milieu de l’imagerie et vers le Japon pour trouver le parfait exemple : Sony. Ou plutôt, Sony Electronics. Numéro deux mondial de la photo derrière Canon avec sa division Imaging, Sony est aussi, par sa division Electronics, le numéro un mondial des capteurs d’image (à la fois dans les appareils photo et les smartphones).
Lire aussi : série spéciale « Sony | Photo » (2017)
1. Comment Sony est devenu le champion de la photographie
2. Sony, le grand empereur des capteurs
3. Kumamoto TEC, visite du temple des capteurs photo de Sony
4. Reportage : les ingénieurs de Sony qui veulent manger Canon et Nikon
Nous avions eu la chance d’aller au Japon en 2017 pour visiter à la fois la division Imaging, mais aussi une usine de production de capteurs dans la préfecture de Kumamoto. Et nous avions pu alors poser des questions aux ingénieurs de l’usine quant à un risque de favoritisme technologique :
« Nous ne favorisons pas les appareils de Sony », nous ont assurés les cadres de l’usine. « Nous avons des équipes de développement compartimentées qui travaillent, les unes, avec la division d’appareils photo de Sony, les autres avec nos clients. Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’échanger des technologies ou de privilégier Sony. Nous sommes Sony Electronics et nos clients extérieurs sont tout aussi importants ».
Comme nous vous le disions à l’époque : ‘’S’il est difficile – impossible même, à moins d’une fuite ou d’un scandale – de vérifier les dires de Sony Electronics, l’argumentation tient la route : si un autre industriel a un doute quant à l’honnêteté de Sony, il peut tout à fait aller voir ailleurs. Et une fois la confiance ébranlée, Sony Electronics pourrait énormément souffrir du manque de clients alors même que la rentabilité de la branche production de capteurs est en pleine ascension.’’ (01net.com)
Ce constat reste toujours d’actualité. Le contexte des capteurs semble en effet sain, puisque la compétition existe. Ainsi, d’un côté, Samsung voit ses parts de marché augmenter dans le segment des capteurs de smartphones. Et de l’autre, Sony consolide son outil industriel avec la construction d’une nouvelle usine de dernière génération toujours à Kumamoto grâce à l’aide technologique de… TSMC.
Cette culture des fondeurs qui savent être au service des clients est clé pour la réussite d’Intel. Et c’est le de degré de compartimentation de l’information que promet Sony Electronics qu’il devra atteindre. S’il souhaite un jour à la fois sortir « les meilleures puces du monde » en son nom, tout en produisant pour les autres.
Source :
The Verge