Lorsque la suite d’un jeu vidéo voit le jour, l’habitude voudrait que ce soit pour faire mieux, plus grand et plus fort. Joyeusement hyperbolique, Bayonetta 3 perpétue cette vieille convention en se posant comme le point culminant d’une série ayant elle-même fait du paroxysme sa signature, à l’image de ses fameux coups de grâce « climax », aussi grotesques que jubilatoires. Cette fois, la sorcière éponyme voyage entre des réalités parallèles pour combattre un mal qui menace d’anéantir l’ensemble de son multivers. Chemin faisant, elle rencontre d’autres Bayonetta, aussi différentes que leurs mondes sont chatoyants et potentiellement infinis.
En exploitant la mode des multivers, le jeu fait de sa diva pop, déjà douée de pouvoirs magiques et quasiment immortelle, l’équivalent d’une superhéroïne Marvel. On songe aussi à Everything Everywhere All At Once, succès cinématographique inattendu de 2022 où Michelle Yeoh sautait d’un monde à l’autre, emportée dans un grand fourre-tout absurde. Pendant quinze à vingt heures, le joueur est entraîné dans un spectacle flamboyant mais alourdi par un principe de surenchère qui pourra autant le galvaniser que le blaser.
Pieds, poings et flingues
En 2009, Bayonetta naissait de l’alliage entre le savoir-faire du studio japonais PlatinumGames en matière d’action et l’héritage arcade de l’éditeur Sega. Avec son burlesque de dessin animé, il signait la naissance d’une icône en même temps qu’un rafraîchissement du jeu d’action à combats : avec ses revolvers accrochés aux pieds et ses enchaînements virevoltants, la sorcière indocile, quand elle ne dessinait pas des cœurs avec les balles, renvoyait des hordes d’anges difformes en enfer à grands coups de pouvoirs occultes dans le derrière. Passé dans le giron de Nintendo, Bayonetta 2 (2014) connut lui des ventes aussi timides que celles de la Wii U qui l’accueillit. Déjà la formule pouvait sembler ressassée, mais sa posture débridée continuait de faire mouche.
En revenant une troisième fois à la charge, la série peut se reposer sur ses acquis (assez indépassables dans leur domaine) mais se heurte à l’inévitable question du renouvellement. Si nous nous plaisons à retrouver des mécaniques telles que le « witch time » – un ralenti vengeur qui se déclenche lorsqu’on esquive une attaque –, le début du jeu nous noie sous une avalanche d’armes, de pouvoirs et de personnages (dont trois jouables). Cette profusion désigne l’enjeu principal de Bayonetta 3 : finir la trilogie en apothéose avant de pouvoir remettre les compteurs à zéro. Le récent appel au boycott lancé par l’actrice Hellena Taylor – la voix emblématique de Bayonetta, écartée du projet sur fond de désaccord financier – en dit long sur l’état de cette licence, prise entre le besoin de plaire à une base limitée de fans et la nécessité de changer pour espérer viser plus haut.
Les démons de la danse
Cet épisode innove donc, en mettant l’accent sur le déblocage régulier d’une multitude d’invocations démoniaques allant du succube géant à l’araignée de feu, en passant par le dieu grenouille. Ces créatures formidables prêtent main-forte à Bayonetta pendant les combats et dressent un portrait de la sorcière en maîtresse dompteuse. Accompagnées d’une débauche d’effets spectaculaires, elles donnent lieu à des séquences de jeu plus ahurissantes les unes que les autres : duel de titans digne d’un film de monstres japonais, course-poursuite endiablée, tir sur rails au-dessus des nuages, parodie de jeu de rythme, etc. De ce foisonnement des genres, PlatinumGames produit un cadavre exquis à la générosité excessive. C’est le jeu tout entier qui est une chimère.
En lorgnant du côté des jeux à mondes thématiques chers à Nintendo, Bayonetta 3 nous transporte sur tout le globe. Le jeu ressemble à un disque rayé qui sauterait d’une piste à l’autre en engendrant une œuvre bigarrée, peu cohérente mais non dénuée de panache. La série se rattache ainsi à une famille foutraque du jeu vidéo japonais qui, de la guerre contre les insectes géants d’Earth Defense Force aux frasques mal aimables de No More Heroes, atténue ses limites techniques en cultivant une esthétique de la démesure au goût contestable.
Mais si le ton boursouflé de Bayonetta confine à l’écœurement, il constitue malgré tout sa marque de fabrique. Ici, le jeu donne à voir des abominations grand-guignolesques, des décors corrompus par un miasme verdâtre, et une nouvelle héroïne, Viola, dont le style « emo punk » tout en bleu et rose aurait pu sortir d’un générateur d’avatars pour Fortnite.
Au milieu de cette laideur, la sorcière Bayonetta trouve cependant matière à danser, lorsqu’elle invoque ses cerbères à travers des chorégraphies endiablées ou se laisse aller à quelques entrechats sur le Moonlight Serenade de Frank Sinatra. Au fond, la lutte ici mise en scène est moins celle qui oppose les anges et les démons que celle qui lie, par l’attraction des contraires, le mauvais goût et l’élégance. C’est ainsi que Bayonetta 3 nous aura à l’usure et que nous finirons par abdiquer, passablement ivres d’avoir dû dompter tant de chimères, la tête dans les étoiles.
L’avis de Pixels en bref
On a aimé :
- un jeu vidéo total qui vit au-dessus de ses moyens ;
- un système de combat toujours aussi riche, mais suffisamment permissif pour que le joueur puisse choisir ses propres défis.
On n’a pas aimé :
- un certain nombre de ratages parmi tout ce que le jeu entreprend ;
- une surenchère parfois lassante, ainsi que des longueurs dans les affrontements finaux.
C’est plutôt pour vous, si :
- vous appréciez les deux épisodes précédents ;
- vous ne redoutez pas les excès en tous genres et les fautes de goût assumées.
Ce n’est plutôt pas pour vous, si :
- vous jouez surtout pour l’histoire ;
- les jeux d’action hypernerveux vous donnent la migraine.
La note de Pixels :
700 mégatonnes sur 1 000.