Tout était en place pour l’effondrement, mais, comme souvent dans le capitalisme spéculatif, une fois que la catastrophe survient, tout le monde fait mine de s’étonner. La faillite de FTX, l’une des plus grandes plates-formes mondiales d’échange de cryptomonnaies, n’est que le résultat d’un cocktail aussi classique qu’explosif.
Prenez un jeune entrepreneur dont les ambitions prométhéennes peinent à dissimuler une avidité à toute épreuve ; une classe d’actifs échappant à la régulation financière et dont le fonctionnement reste abscons pour le commun des mortels ; un siège social basé dans un paradis fiscal notoire ; une entreprise à la transparence et à la gouvernance douteuses, des taux de rendement défiant l’apesanteur, le tout parsemé de noms prestigieux pour attirer les gogos : le château de cartes n’a mis que quelques jours à s’effondrer sur lui-même.
Valorisée à 32 milliards de dollars en début d’année, FTX s’est placée, vendredi 11 novembre, sous la protection de la loi américaine sur les faillites. Son fondateur et PDG, Sam Bankman-Fried, entraîne dans sa chute 130 entreprises affiliées et une centaine de milliers d’investisseurs qui, tout adultes consentants qu’ils sont, risquent ne jamais récupérer leur mise.
Au cœur du scandale, un système de détournement des actifs. Une partie de l’argent confiée à FTX par ses clients aurait été aspirée par le fonds Alameda Research. Cette société, dont Bankman-Fried était l’actionnaire majoritaire, aurait utilisé les fonds déposés pour faire des paris financiers extrêmement risqués sans que les investisseurs en soient avertis. Ces opérations étaient garanties sur un actif tout aussi spéculatif, puisqu’il s’agissait du FFT, la cryptomonnaie maison, dont Bankman-Fried assurait lui-même la régulation. L’afflux de demandes de remboursement de la part de clients inquiets de la chute du FFT a précipité la crise de liquidité.
Aveuglements et négligences
La déroute de FTX n’est pas le fait d’un malheureux concours de circonstances. Elle est le résultat d’une série d’aveuglements, de négligences et d’un contexte toxique.
Les aveuglements, d’abord. Si le secteur bancaire traditionnel a su garder ses distances, il faut s’interroger sur la légèreté avec laquelle des fonds d’investissement ayant pignon sur rue comme Sequoia, la caisse de retraite des enseignants de l’Ontario, ou le japonais Softbank se sont retrouvés embarqués dans cette affaire sans exiger un droit de regard minimal sur les arrière-cuisines de FTX.
Les négligences, ensuite. Voilà des mois que les banquiers centraux appellent à une régulation des cryptomonnaies. Pourquoi peine-t-elle à voir le jour ? Une banque n’a plus le droit utiliser l’argent de ses clients pour spéculer pour son propre compte. A quel titre une plate-forme de cryptomonnaie peut-elle le faire, alors même que la solidité de ses actifs tient davantage du casino que de l’investissement ? Au regard des sommes brassées par ce secteur hautement spéculatif, il est urgent d’encadrer ses pratiques.
Le contexte, enfin. L’essor des cryptomonnaies a été grandement encouragé par les montagnes de liquidités qui ont été injectées par les banques centrales dans le système financier. Cet argent, créé quasiment ex nihilo, a poussé les investisseurs à faire des placements dans des actifs de plus en plus risqués et de plus en plus baroques pour obtenir des rendements toujours plus élevés. Le retour à des politiques monétaires plus orthodoxes a le mérite de percer la bulle des cryptomonnaies.
Reste à les réguler fermement. Le Congrès des Etats-Unis, puisque c’est dans ce pays que se déroule l’essentiel des échanges, et la Securities and Exchange Commission, le gendarme américain des marchés financiers, doivent enfin passer des paroles aux actes.