L’acquisition de Twitter par Elon Musk suscite un nombre important de commentaires et de spéculations au sujet de l’avenir du réseau social. Ce rachat est en effet le dernier épisode d’une controverse qui divise les Etats-Unis, entre des lectures contradictoires et parfois confuses du premier amendement de la Constitution du pays au sujet des limites tolérables à la liberté d’expression en ligne.
Les tenants d’une conception rigoriste du free speech [la liberté de parole] prônent un retour à une interprétation littérale du premier amendement qui limite strictement la capacité du gouvernement à restreindre la liberté d’expression des personnes. Seul un principe de neutralité de l’Etat garantirait la liberté individuelle contre les abus d’un pouvoir arbitraire. Cette logique est reprise par Elon Musk, qui souhaite que Twitter se conforme au premier amendement en matière de modération des contenus.
Or la Constitution ne s’applique qu’à la puissance publique (c’est-à-dire le gouvernement fédéral, les Etats) et ne lie pas les personnes privées (c’est-à-dire les entreprises, les individus). En d’autres termes, rien n’impose juridiquement à Twitter de garantir la liberté d’expression de ses utilisateurs, ni de filtrer les contenus politiques selon un principe de neutralité.
Un régime d’irresponsabilité civile
La modération des contenus relève de la discrétion des entreprises depuis 1996 et l’adoption de la « section 230 » du Communications Decency Act [la décence dans les communications]. En vertu de cette loi, les fournisseurs de services en ligne sont encouragés à filtrer, de leur propre initiative, les publications afin de préserver une forme de moralité sur Internet.
Mais la loi va plus loin, puisqu’elle prévoit un régime d’irresponsabilité civile, et de facto pénale, au profit des opérateurs – peu importe qu’ils conservent ou suppriment des contenus, même les plus outranciers. Ce cadre juridique particulièrement protecteur a permis aux entreprises comme Twitter, Meta ou YouTube de restreindre la liberté d’expression de leurs clients au-delà de ce que prévoit la Constitution afin, notamment, de bloquer la diffusion de contenus obscènes et des discours de haine.
Cette approche a été celle de l’équipe dirigeante de Twitter avant l’arrivée tonitruante de Musk, lequel, jugeant que cette politique juridique avait pour objectif secret de réduire les conservateurs au silence, a entendu y couper court. Le milliardaire interprète le pouvoir discrétionnaire offert par la section 230 comme l’autorisant à mettre en œuvre une modération des contenus conforme à la lettre à la Constitution. Ainsi, toutes les expressions légales, même les plus insupportables, pourraient prospérer sans contrainte.
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