Les opérateurs télécoms seraient-ils victimes de la stratégie du coucou ? S’ils supportent tout le poids financier du déploiement et de la maintenance de la fibre optique et des réseaux 5G, ce sont d’autres acteurs qui, en faisant leur nid dans leurs infrastructures, en tirent véritablement le bénéfice. A commencer par les géants du numérique, les GAFAM, et les spécialistes du streaming tels que Netflix, YouTube ou Spotify.
« Alors que les services internet en ligne ont connu une croissance de revenus de 30 % par an entre 2015 et 2020, les services de télécommunication ont enregistré une croissance plus modérée de 2 % », observe le think tank Digiworld Institute (ex IDATE DigiWorld). Selon une autre étude d’Arthur D. Little, les opérateurs télécoms européens sous-performent même en affichant une croissance annuelle de 1 % seulement entre 2012 et 2021, alors que leurs homologues nord-américains et asiatiques atteignent respectivement 6 % et 8 %.
Pour Digiworld Institute, « le secteur télécom connaît ainsi une stagnation de ses revenus et une baisse des marges, tandis que l’explosion de l’utilisation des données contraint les opérateurs à maintenir un haut niveau d’investissement dans leurs réseaux afin de pouvoir offrir un certain niveau de qualité ».
En France, les opérateurs ont investi plus de 40 milliards d’euros ces trois dernières années, rappelait Laure de la Raudière, présidente de l’Arcep, lors de son audition au Sénat. Au niveau européen, les opérateurs télécoms anticipent une multiplication de leurs investissements par 2,5 d’ici 2027, soit une hausse de 300 milliards d’euros, rapporte Digiworld Institute.
Dans son étude économique 2022, la Fédération française des télécoms (FFT) pointe ce partage inéquitable de la valeur. Les opérateurs télécoms ne perçoivent que 42 % des revenus totaux de l’écosystème numérique français, alors qu’ils assurent 78 % des investissements, créent 69 % des emplois et s’acquittent de 79 % des impôts et taxes. Les géants du numérique ne contribuent qu’à 4 % des investissements, ne paient que 3 % des impôts et taxes et créent seulement 11 % des emplois. En revanche, ils captent 30 % des revenus.
Un principe d’émetteur-payeur
Le lobbying des opérateurs auprès de Bruxelles en faveur d’un meilleur équilibrage des charges semble payer. Selon Bloomberg, la Commission européenne étudierait une proposition de loi visant à contraindre « les entreprises technologiques qui utilisent le plus de bande passante » à contribuer au déploiement de la prochaine génération d’infrastructure internet.
En septembre dernier, les principaux opérateurs européens, dont Orange et Bouygues Telecom, avaient émis dans un document commun, le souhait que « les plus gros générateurs de trafic contribuent équitablement aux coûts importants qu’ils imposent actuellement aux réseaux européens ». Une « contribution équitable » permettrait un déploiement « plus rapide et plus inclusif » de la fibre et de la 5G.
Le document consulté par Bloomberg interroge sur le seuil à partir duquel une entreprise peut être qualifiée de « grand générateur de trafic ». Cette proposition d’émetteur-payeur pourrait par ailleurs se voir mettre un veto de la part de l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE).
Quid de la neutralité du net ?
Selon le site Euractiv, cet ORECE estime qu’elle risque de nuire à l’écosystème numérique actuel en changeant les règles du jeu. Elle pourrait aussi remettre en question le principe de la neutralité du net. A partir du moment où un acteur comme Netflix ou YouTube contribue au financement des infrastructures télécoms, n’est-il pas en droit d’exiger l’allocation d’une bande passante dédiée ?
A défaut de faire payer les GAFAM, Digiworld Institute évoque plusieurs scénarios permettant aux opérateurs d’augmenter leurs revenus et leur rentabilité. Ils peuvent monétiser leurs infrastructures en cédant leurs tours – pylônes, antennes 4G/5G – à des opérateurs d’infrastructure baptisés TowerCo.
Les opérateurs peuvent également surfer sur les nouveaux usages qui ont décollé avec la crise sanitaire, comme la visioconférence ou le cloud gaming. Les communications unifiées, l’internet des objets (IoT), la cybersécurité, le cloud, l’edge computing ou les réseaux de communications quantiques sont aussi perçus comme autant de relais de croissance.
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