Le banquier qui consent à un client « non averti » un crédit, dont il sait qu’il n’est pas adapté à ses capacités financières, a l’obligation de « mettre en garde » celui-ci contre les risques d’endettement qu’il court. S’il manque à cette obligation, le banquier peut être condamné à indemniser son client, le jour où il n’arrive pas à rembourser. Mais cette obligation de mise en garde n’a rien à voir avec un devoir de conseil, comme le rappelle l’affaire suivante.
En 2007, M. X, 48 ans, perd son poste d’« expert achat textile et chaussure » chez Carrefour – il accepte une rupture conventionnelle dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Avec son indemnité de départ, de 200 000 euros, il décide d’ouvrir une pizzeria sous franchise de La Casa Pizza Grill.
La société qu’il crée fait rénover les locaux d’un ancien McDonald’s, grâce à un emprunt de 840 000 euros qu’elle souscrit auprès de LCL, et dont il se porte caution, pour moitié. En 2014, avec un chiffre d’affaires de 1 million d’euros, au lieu de 1,4 million tel que prévu, et un loyer commercial trop élevé, de 15 000 euros, elle est placée en liquidation, et M. X doit honorer sa garantie.
M. X reproche alors à LCL de ne pas avoir respecté son obligation de mise en garde. « LCL a accordé le prêt sans émettre de critique sur le budget prévisionnel établi par le franchiseur, alors que celui-ci était manifestement surestimé, de 30 % à 40 % », proteste-t-il, en se référant aux résultats des autres entités du groupe.
Rachat de créance
« Il ne faut pas confondre le devoir de mise en garde, qui consiste à informer la caution de ce qu’elle devra rembourser l’emprunt avec des intérêts, et le devoir de conseil, qui n’est pas obligatoire, et qui porte sur l’opération », explique Jérôme Lasserre Capdeville, universitaire spécialiste du droit bancaire, maître de conférences à Strasbourg. Le tribunal de commerce de Lyon juge ainsi que LCL n’avait pas à « se prononcer sur l’opportunité de l’opération financée ».
Quant à M. X, le tribunal le considère comme une caution avertie, car il dispose du niveau bac + 4 en gestion. Cette information lui a été communiquée par la société de recouvrement suisse Intrum Justitia Debt Finance AG, épinglée, avec d’autres, pour leurs « méthodes agressives », par l’UFC-Que choisir.
Après avoir racheté la créance de LCL, la société de recouvrement a trouvé le profil que M. X avait publié sur le réseau social professionnel LinkedIn : il s’y déclare « titulaire d’une maîtrise de sciences économiques et gestion » – ce qui est vrai – et précise avoir des compétences en « management, business development, business analysis, gestion d’équipe [et] négociations ». Elle l’a produit, sachant que, Or, « selon la jurisprudence, une personne qui a fait des études supérieures dans un domaine économique est considérée comme avertie », comme l’explique M. Lasserre Capdeville.
La cour d’appel de Lyon ayant confirmé le jugement, c’est sans succès que Me Sébastien Viaud, avocat de M. X en cassation, soutient que celui-ci n’était pas averti, puisqu’il opérait une reconversion professionnelle : il ne connaissait rien à la restauration, dans la mesure où il avait précédemment occupé un poste de commercial dans la distribution. Le 9 novembre 2022 (20-18.264), la Cour retient le raisonnement de son adversaire, Me Thomas Lyon-Caen, selon lequel il faut prendre en compte non seulement les « fonctions » précédemment exercées, mais aussi les « capacités » de la caution.
M. X souhaite toutefois ne payer que « le prix réel » auquel Intrum a racheté sa créance, ainsi que le permet l’article 1699 du code civil : comme elle refuse de le lui révéler, un nouveau combat judiciaire est engagé.