« No crypto. Comment bitcoin a envoûté la planète », de Nastasia Hadjadji, Divergences, 200 p., 16 €.
La couverture est rose fluo, comme pour mieux trancher avec le « Livre blanc » mis en ligne en 2008 sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, qui lança le bitcoin. Car c’est une position résolument critique envers le plus connu des cryptoactifs (terme qu’elle préfère à celui de cryptomonnaie) que Nastasia Hadjadji adopte dans son essai No crypto.
Plus que d’une technologie, c’est surtout d’un milieu que la journaliste fait la radiographie. Après une initiation bienvenue au jargon dont se sert la communauté des cryptoconvaincus, elle nous invite à réfléchir à sa fonction : créer une forme de culte. Opportunistes de la première heure, idéologues ou révoltés… l’autrice dresse une typologie fine des différentes populations croisées parmi les friands de bitcoins, que l’utilisation habituelle du terme « crypto bros » tend, à tort, à homogénéiser. Toutes ont néanmoins le même credo : né en réaction à la crise financière de 2008, le bitcoin – et ses quelque 20 000 succédanés – représente « l’industrie du futur ». Un futur où la décentralisation est le maître mot, l’Etat l’antéchrist, et où ceux qui se sont convertis à temps connaîtront un jour richesse et rédemption.
Sauf que tout culte cache en réalité une structure et des enjeux politiques. De façon très documentée, No crypto décrit ainsi les racines « e-déologiques » du bitcoin. Dans le terreau de la pensée des « cypherpunks », militants des années 1990 contre la surveillance étatique et prônant le chiffrement (cipher) par les citoyens, a germé la graine d’un discours ultralibéral. Reposant sur « la diabolisation des banques centrales », ce dernier présente le bitcoin comme une solution miracle contre l’inflation et défend un projet de société fondé sur la défiance généralisée, dans lequel cryptographie et algorithmes viennent pallier le manque de confiance entre les individus.
« Industrie parasitique »
Surtout, l’ouvrage détaille comment, d’une monnaie utopique, le bitcoin s’est mué en un actif financier aux effets de bord dramatiques. D’abord la litanie des arnaques permises par un système qui n’offre aucune protection à ses utilisateurs. Ensuite l’impact écologique d’une « industrie parasitique », selon les mots du chercheur Peter Howson, vampirisant les ressources énergétiques de régions entières, du Kazakhstan à la République démocratique du Congo. Enfin, et c’est lié, une forme de « crypto-colonialisme » et d’« inclusion prédatrice » : sous le vernis de l’émancipation, le bitcoin piège des populations vulnérables, soumises aux montagnes russes de son cours, aux transactions irréversibles et aux comportements toxiques d’une finance débridée.
Il vous reste 27.23% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.