« Accuser les réseaux sociaux d’être responsables des violences est une manière de dépolitiser la révolte »

avec les réseaux sociaux, des émeutes en direct


Romain Badouard, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-II-Panthéon-Assas, est notamment l’auteur de l’ouvrage Les Nouvelles Lois du Web. Modération et censure (Seuil, 2018).

Entre les émeutes de 2005 et celles de 2023, l’usage des réseaux sociaux s’est généralisé. Comment analysez-vous leur impact sur les événements ?

Ils ont bouleversé l’espace public depuis 2005. Les émeutiers s’en servent pour s’organiser et se coordonner, les forces de l’ordre y surveillent les émeutiers et y sont aussi surveillées par la population, le grand public s’y informe, les journalistes y cherchent des témoignages. Bref, le « en ligne » et le « hors ligne » sont totalement imbriqués, et il est difficile de séparer l’un de l’autre.

La première fonction des réseaux sociaux dans le cadre de révoltes urbaines est de permettre à un public de se montrer à lui-même. Constater sur Snapchat ou TikTok l’ampleur du mouvement a permis aux jeunes de prendre conscience de leur nombre et a pu amplifier les émeutes. Mais accuser les réseaux sociaux d’être responsables des violences est aussi une manière de dépolitiser et de délégitimer la révolte, de dénier aux émeutiers le droit de se révolter contre les violences policières, comme si l’objectif en lui-même n’était pas légitime, alors que la France est depuis longtemps critiquée à ce sujet. De nombreuses manifestations ont déjà donné lieu à des dégâts filmés et partagés sur les réseaux sociaux, sans que leur légitimité soit remise en cause.

Des responsables politiques, dont le président de la République, ont évoqué l’idée de couper les réseaux sociaux en cas d’émeutes. Comment réagissez-vous à ces déclarations ?

Couper les réseaux sociaux ou la 5G dans une situation de révolte, ou même limiter certaines fonctionnalités comme la géolocalisation, me semble très problématique, même lorsque ces émeutes sont violentes et occasionnent de nombreux dégâts. Cela créerait un précédent dangereux sur le plan démocratique. Quand la Turquie ou l’Egypte coupent l’accès à Internet pour contrer des révoltes citoyennes, nous sommes collectivement outrés et condamnons ces pratiques. En quoi cela serait-il plus acceptable lorsque ces révoltes se passent chez nous ? Le grand enjeu de la modération sur les réseaux sociaux, c’est justement de faire respecter les lois tout en protégeant la liberté d’expression des internautes.

Emmanuel Macron a aussi évoqué une « forme de sortie du réel » et « le sentiment parfois que certains vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués ». Que vous inspire cette analyse ?

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