« La révolution numérique n’a pas changé que la manière de produire, elle a aussi changé nos attentes »

« La révolution numérique n’a pas changé que la manière de produire, elle a aussi changé nos attentes »


Le 15 mars 1968, dans Le Monde, Pierre Viansson-Ponté résumait le sentiment général : « La France s’ennuie. » Si l’on se livrait au même exercice en 2023, on traduirait cette fois le sentiment général ainsi : « Ça craque de partout. » Hôpital, école, police, services publics, présence de la France dans le monde… La liste des institutions dysfonctionnelles et au bord de la rupture paraît interminable. Pourquoi a-t-on ce sentiment, quelle que soit sa place sur l’échelle sociale ?

Difficile de répondre tant le débat est piégé par deux mauvaises réponses. La première se situe très à droite, c’est l’idée de « la France qui tombe » et qui s’exhibe sous le vocable renouvelé d’« ensauvagement » ou de « décivilisation ». Inscrit dans la longue thématique de l’effondrement, ce courant déploie un patriotisme morbide qui ne jouit que dans la supposée déconfiture de cette « pauvre France » et produisit tant l’antiparlementarisme des années 1930 que le refus de la décolonisation dans les années 1960.

L’autre mauvaise réponse vient de la gauche. Elle explique la difficulté du présent de manière atavique par le « manque de moyens »… Le sujet est réel, mais il s’agit là d’une réponse pour ne pas penser : un « mode automatique » qui laisse sous le tapis l’inadéquation des services publics avec les besoins des gens, la fragilité des compétences des agents ou la désorganisation des institutions. Tout ne s’achète pas, et tout ne revient pas à du budget supplémentaire. C’est une lâcheté autant qu’une complaisance.

Rupture historique

La question reste donc entière. Est-ce alors le fait des hommes et des femmes ? Sans doute pas, même si la haute fonction publique se caractérise souvent par une peur panique de lever la tête pour comprendre ce qui se joue dans notre époque. Aussi, quand on ne sait pas où l’on va, on se replie sur son périmètre pour « faire ce que l’on peut », générant des réponses expertes et en silo – c’est-à-dire autonomes les unes par rapport aux autres et aveugles au fonctionnement général. L’exemple de la stratégie au Sahel montre que l’approche militaire, certes irréprochable sur ce plan, n’a rien compris aux sociétés sahéliennes… Ce qui la rend caduque. Les individus ne sont pas devenus incompétents, mais les sociétés ont changé pendant qu’eux continuaient comme avant, en feignant d’innover.

En réalité, ce qui « craque de partout », c’est une approche industrielle de nos systèmes, organisés pour traiter en silo et en grande série. L’imaginaire industriel est partout. A l’hôpital, dans la salle d’attente des urgences, on soigne les patients à la chaîne et de façon désincarnée ; à l’école, tous les enfants du même âge sont mis ensemble dans les mêmes classes, suivant les mêmes apprentissages. Dans le système judiciaire ou policier, on traite à la file dans un fatras de procédures.

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