La mise en place des sanctions économiques US visant la Chine a été un coup dur pour Huawei, passé du firmament à la descente aux enfers. Toutefois, depuis quelques mois, le fabricant chinois revient en force sur le marché grâce à une mystérieuse puce Kirin 9000S qui rebat les cartes.
Le Financial Times revient sur cet épisode en dévoilant les coulisses des événements qui ont permis d’en arriver là. Cela démarre avec Charlotte, un projet de conception d’un SoC (Sytem on a Chip) mobile avancé mais conçu avec des équipements de lithographie d’ancienne génération par le fondeur SMIC.
Le projet serait long à mettre en place, plus cher et pas assuré d’arriver à son terme mais c’était la seule opportunité possible face à la nouvelle situation, sous peine de plus pouvoir disposer de puces de qualité.
Trois ans plus tard, le projet Charlotte est devenu le processeur mobile Kirin 9000S présent dans la gamme de smartphones Huawei Mate 60 et depuis dans plusieurs autres produits (Huawei Mate X5, Huawei MatePad Pro 11…).
Sa force est d’être gravé en 7 nm, ce qui a constitué une vraie surprise pour les Etats-Unis qui pensaient avoir bloqué l’industrie chinoise des semi-conducteurs au noeud 14 nm.
Comment SMIC a pu forger sa gravure en 7 nm malgré les sanctions
Sans rivaliser avec les meilleurs processeurs mobiles du moment, il offre tout de même des performances décentes et la gamme Huawei Mate 60 a connu un énorme succès en Chine.
Si Huawei et SMIC sont restés très discrets sur la conception du Kirin 9000S, les experts et observateurs du marché ont vite voulu en savoir plus. D’après les différentes sources interrogées par le Financial Times, il apparaît que le Kirin 9000S exploite une technique N+2 de la gravure en 7 nm de SMIC en utilisant des équipements de lithographie DUV (Deep Ultra Violet) au lieu de EUV (Extreme Ultra Violet) utilisés normalement pour cette finesse.
Equipement de lithographie DUV de ASML
C’était voulu au départ car les équipements DUV sont plus facilement accessibles et moins chers mais au détriment des ressources consommées et des rendements. Le fournisseur d’équipements ASML indique ainsi qu’il faudra 34 étapes pour réaliser de la gravure en 7 nm en DUV, contre 9 étapes en EUV.
Ce n’est réalisable que si l’on accepte d’en payer le prix…ou si l’on n’a pas le choix, puisque les équipements de lithographie EUV ont rapidement été interdits d’exportation vers la Chine, dès 2019, suivis plus tard par les équipements DUV.
Cela n’a pas empêché le fondeur SMIC de trouver des astuces (achat d’équipements en masse avant l’embargo, récupération de pièces) pour maintenir sa capacité de gravure en 7 nm tout en se passant de l’accompagnement d’ASML…mais peut-être avec l’aide d’autres entreprises, comme Applied Materials, sous le coup d’une investigation pour violation des mesures de restriction.
L’aide financière du gouvernement chinois indispensable
Huawei a largement contribué à rendre possible la gravure chinoise en 7 nm de SMIC par des investissements et le soutien de ses ingénieurs dans le développement du projet Charlotte. Le fondeur chinois aurait également reçu un soutien extérieur de certains experts dans plusieurs pays.
Sur la question des rendements, le mystère demeure mais une source du Financial Times indique qu’ils étaient de l’ordre de 30% au moment de la phase de pré-production, une valeur pas si négligeable dans les conditions de mise en place mais loin des standards de l’industrie en terme de coûts et rendements optimaux.
C’est sans compter avec le soutien financier du gouvernement chinois qui a comblé les différences de coûts sous forme d’aides d’Etat, et sans lesquelles le projet n’aurait pas pu aboutir.
Mais l’un dans l’autre, l’industrie chinoise est bien en mesure de produire des puces en 7 nm (et sans doute en 5 nm sous peu), même dans des conditions difficiles et avec un faible rendement, ce qui pourrait servir également à produire des puces IA. Huawei a déjà commencé à évoquer une puce dédiée Ascend 910b attendue l’an prochain.
Toutefois, même avec les stocks d’équipements et de pièces en amont, le fondeur chinois pourrait se retrouver à court de solution d’ici deux ou trois ans, avant que des équipements purement d’origine chinoise ne puissent les remplacer. D’où les investissements massifs du gouvernement pour alimenter son industrie des semi-conducteurs et trouver les moyens de contourner les restrictions américaines au plus vite.