Google a perdu cette semaine le procès antitrust qui l’opposait à Epic Games. Un tribunal américain a rendu un verdict unanime en faveur d’Epic Games. Et l’attention se porte désormais sur les conséquences de cette décision.
Le jury a estimé que Google détenait un monopole sur sa boutique d’applications, le Play Store, et sur son service de paiement, Google Play Billing. En liant le Play Store au service de paiement, Google a abusé de sa position dominante sur le marché assure la justice.
Le verdict soulève deux questions.
- Les règles du Play Store de Google sont plus ouvertes que celles d’Apple. Pourquoi Google a-t-il donc perdu un procès antitrust qu’Apple l’a gagné ?
- Que signifie l’issue de cette affaire pour Google, et, par extension, pour l’ensemble du secteur des boutiques d’applications ?
Commençons par la première question.
La politique de Google en matière d’app stores est clairement plus ouverte que celle d’Apple
La politique de Google en matière d’app stores est clairement plus ouverte que celle d’Apple. Contrairement à Apple qui interdit purement et simplement les boutiques d’applications tierces, Google les autorise. Par ailleurs, les achats intégrés étaient initialement limités aux jeux.
Un rapport de la Chambre des représentants des États-Unis, intitulé « Investigation of competition in digital market » (enquête sur la concurrence dans le marché numérique), publié en 2020, a également mis l’accent sur le monopole de l’App Store d’Apple.
Pourquoi alors le tribunal a-t-il jugé les pratiques commerciales de Google plus problématiques que celles d’Apple ?
Selon le New York Times, Epic a axé son argumentation sur les pratiques discriminatoires de Google. Google a conclu des accords spéciaux avec de grands développeurs de jeux comme Activision Blizzard et Nintendo. En échange de leur appartenance à l’écosystème de Google, ils bénéficient de tarifs nettement inférieurs pour les paiements in-app. Apple, en revanche, applique les mêmes frais de 30 % pour les achats in-app.
Alors qu’Apple a complètement fermé la porte,
Google l’a entrouverte et a ensuite pratiqué la discrimination
Et voici l’interprétation juridique de ces différentes décisions : alors qu’Apple a complètement fermé la porte du magasin d’applications, Google l’a entrouverte et a ensuite pratiqué la discrimination.
« Le procès a mis à nu les accords de partage des revenus entre Google, les fabricants de smartphones et les développeurs de jeux », relève à ce sujet Justin Patterson, analyste chez Kaybank Capital Markets. Et en fin de compte, c’est ce qui a fait la différence entre le sort de Google et celui d’Apple dans l’affaire antitrust des magasins d’applications.
Google a donc été jugé plus sévèrement pour avoir discriminé ses clients afin de rendre les autres boutiques d’applications moins compétitives, qu’Apple pour avoir interdit les boutiques d’applications concurrentes. Le fait que l’affaire Apple ait été tranchée par un juge seul, alors que l’affaire Google l’a été par un jury, a également joué un rôle dans le résultat. Et du point de vue de l’utilisateur moyen, la discrimination de Google peut sembler bien pire.
Pourquoi Apple a gagné et pourquoi Google a perdu
Qu’est-ce que cela signifie pour le modèle commercial des boutiques d’applications ? Les principaux problèmes soulevés par les procès concernant les boutiques d’applications sont les monopoles de distribution et les achats forcés dans les applications. Dans le cas d’Apple, seul ce dernier point est en cause.
Apple a obtenu gain de cause sur neuf des dix points abordés dans son procès contre Epic. Le seul point perdu concerne des dispositions qui limitent la promotion d’autres méthodes de paiement. Le tribunal a jugé que ces dispositions relevaient de la propriété intellectuelle et a ordonné à Apple d’inclure des liens vers des modes de paiement externes. Et Apple fait actuellement appel de cette décision devant la Cour suprême.
En revanche, Google a été reconnu coupable d’avoir abusé de sa position dominante à la fois dans la distribution d’applications et dans les paiements. Mais cette jurisprudence pourrait rapidement voler en éclat.
Le DMA va bouleverser ce fragile équilibre
Car il existe un ennemi encore plus redoutable les tribunaux américains pour les Gafa. Il s’agit de la loi sur les marchés numériques (DMA) de l’Union européenne. Cette loi vise à réglementer les plateformes géantes qui servent de « gardiens » (ou gatekeepers) entre les consommateurs et les vendeurs. En septembre, l’UE a désigné Apple, Google et six autres entreprises comme des « gardiens » soumis à la réglementation de la loi sur les marchés numériques.
Et il est interdit aux « gatekeepers » de favoriser leurs propres produits ou services. L’App Store d’Apple est donc soumis à la réglementation DMA. En fin de compte, Apple a gagné le procès antitrust de l’App Store aux États-Unis, mais il est toujours pris dans le filet réglementaire de l’UE.
Pour qu’Apple se conforme aux DMA, il faudrait qu’elle autorise le « sideloading », c’est-à-dire la possibilité de télécharger des applications sans passer par l’App Store. Si l’on ajoute à cela la décision de la justice américaine d’autoriser la promotion d’autres magasins d’applications, Apple est effectivement contraint d’ouvrir à la fois la distribution d’applications et les paiements.
C’est ce que Tim Sweeney, PDG d’Epic, avait à l’esprit lorsqu’il a déclaré, peu après le verdict en faveur de Google, qu' »Apple sera contraint de se retrouver dans la même situation ».
Source : « ZDNet Korea«