Acer a atteint son pic de pollution historique au cours de l’année 2021. Jamais le fabricant taïwanais n’avait publié un bilan carbone aussi élevé que cette année-là, alors même que la vente d’ordinateurs, son coeur d’activité, continue de ralentir fortement. Pour terminer l’année sur une note plus positive, sortait alors une nouvelle gamme, appelée Vero. Un ordinateur censé être plus durable, avec une « technologie consciente » et l’objectif de chercher une nouvelle clientèle.
En 2023, trois modèles de PC Vero sont désormais flanqués de ce petit logo, d’un châssis en plastique recyclé et d’une absence de petit autocollant Intel très polluant. Suffisamment de changements pour que Jason Chen, le CEO de la multinationale, en vienne à pointer du doigt ses concurrents. « Si on peut faire des ordinateurs recyclés, pourquoi pas ? Demandez à l’industrie ! », déclarait-il le 6 décembre dernier lors d’un événement organisé à Dubaï, en pleine COP28.
« Acer a voulu profiter de l’événement médiatique de la COP28 pour passer son message sur la durabilité, et se rapprocher de nos partenaires tels que Microsoft ou Intel qui se sont rendus sur place », expliquait à 01net Valérie Piau, la responsable marketing pour les régions EMEA. De là à être convié au sommet sur le climat ? En apparence oui, mais en réalité non. Malgré les logos en référence à l’événement et le vert de la scène, son initiative se déroulait bien en dehors d’Expo City, là où la COP28 prenait place.
« C’est une urgence »
Les équipes européennes et taïwanaises d’Acer se sont donc retrouvées au Moyen-Orient, début décembre, dans une ambiance chaleureuse, loin de celle du marché des PC. La baisse des ventes se poursuit et conduit Acer à enchaîner les trimestres à perte. « C’est une urgence. La partie hors PC correspond à hauteur de 26 % de nos revenus. Nous sommes obligés d’élargir notre activité sur de nouveaux produits parce qu’effectivement, en termes de profits, ces ventes représentent une partie non négligeable », confiait Valérie Piau.
Si les « les PC ne sont plus une ligne de production vraiment profitable », comme l’ajoutait la responsable, il faut donc se réinventer. L’événement à Dubaï a été l’occasion d’observer la multinationale chercher à verdir son image et ses produits, tout en succombant à l’intérêt économique d’une avalanche de nouvelles références. En Asie comme en Europe, arrivent des trottinettes, des vélos, des batteries, des panneaux solaires, mais aussi des purificateurs d’air et d’eau… en plus d’une panoplie d’ordinateurs qui donne le tournis : 9 gammes et 85 références.
Acer, comme de nombreuses multinationales de la tech, traîne depuis 20 ans dans les rapports des ONG. Pour pouvoir s’aligner sur les nouvelles conditions ESG exigées des réglementations et du milieu de le finance – avec le géant BlackRock aux premières loges – la firme s’est pliée à la publication de rapports annuels de durabilité et la signature d’engagement, à son nom et à celui de ses fournisseurs. Mais les mêmes craintes apparues il y a deux décennies subsistent, et l’événement d’Acer à Dubaï n’a pas eu pour effet de les élucider.
Première crainte : le greenwashing
En cinq ans, le flou persiste toujours autant sur la volonté d’Acer d’imposer ses produits écoresponsables dans sa gamme, au lieu de les garder comme des produits alternatifs. Depuis les premières ébauches du projet Vero, en 2017, Greenpeace s’inquiétait déjà de la pratique. L’ONG pointait du doigt l’idée d’Acer de rassembler ses produits plus respectueux de l’environnement dans une gamme précise, plutôt que généraliser l’effort sur l’intégralité des nouveaux produits.
L’occasion pour nous, à Dubaï, de tenter de faire le point sur la situation. Et comprendre que le chemin va être encore long. « La gamme Vero représente moins de 10 % de nos ventes actuelles », reconnaissait Valérie Piau, avant d’ajouter qu’en 2025, « on veut que sur n’importe quelle gamme, y compris Nitro, Predator et Chromebook, l’utilisation de PCR atteigne 20 à 30 % ».
Le Post-Consumer Recycled material, plus connu sous les initiales PCR, a occupé la majeure partie des discours d’Acer sur les solutions retenues pour proposer une technologie dite « consciente ». Mais il faut dire que derrière la banalité qu’est aujourd’hui le terme de « plastique recyclé », se cache un fléau encore au stade initial de toute amélioration. Depuis 2015, l’humanité a produit plus de 6,9 milliards de tonnes de déchets plastiques. Et seulement 9 % ont été effectivement recyclés selon l’OCDE.
Du côté de la production, seulement 6 % sont effectivement en plastique recyclé. Le reste appartient à une part écrasante de plastique de production primaire, à partir de gaz ou de pétrole. Pour réduire la production, l’interdiction de plastique à usage unique ne sera pas suffisante. D’où l’importance que les plus grands, comme Acer et d’autres, se tournent effectivement vers l’utilisation de PCR.
La dernière référence d’ordinateur Vero proposée par Acer veut d’ailleurs aller dans ce sens. À Dubaï, la marque annonçait un appareil comportant 60 % de composants plastiques recyclés. En passant ce cap, Acer a expliqué en parallèle qu’il deviendra neutre en carbone, grâce à l’ajout dans l’équation de crédits carbone. La technique de la compensation fait partie des plus visées par les détracteurs du greenwashing. Acer se défendait alors en indiquant qu’il sera, de toute façon, indispensable de passer par là pour une marque de l’industrie tech.
Là où l’annonce pose davantage problème c’est sur l’absence, à ce jour, d’informations plus claires quant à la part de compensation nécessaire pour que le dernier PC Vero d’Acer puisse effectivement se déclarer neutre en carbone. La marque nous donne rendez-vous au plus tôt à l’occasion de l’IFA de Berlin, en septembre 2024, pour en savoir plus à ce sujet. Silence aussi sur les plans d’Acer pour que d’autres produits finissent par obtenir eux aussi la neutralité carbone.
« Sachant que nous n’avons pas encore lancé le produit, je ne peux pas encore vous préciser cette part. Cela prendra en compte un calcul précis qui comprend l’impact carbone de la production, de la distribution, mais aussi de l’utilisation du produit », nous expliquait Valérie Piau. Une compensation qui passera principalement par des arbres, plantés par les partenaires avec lesquels travaille la multinationale sur ses différents marchés. « Tout cela est géré par des entreprises externes à Acer », ajoutait-elle.
Une donnée manquait dans les discours des responsables d’Acer à Dubaï : le volume effectif de recyclage opéré par la marque, concernant ses produits. Pour une société pronant l’économie circulaire, cette absence intrigue, et il nous a fallu aller chercher loin dans les 175 pages du dernier rapport sur la durabilité de la marque pour découvrir qu’en cinq ans, Acer n’avait augmenté sa part de recyclage que de 5 %, soit une timide différence de 1000 tonnes. « C’est encore assez peu. Ce n’est pas assez », reconnaissait Valérie Piau, sans confirmerde nouveaux objectifs sur ce point précis.
Pour éviter de trop consommer, le but sera plutôt de miser sur la réparation. Aujourd’hui, quatre vis standards permettent d’ouvrir les ordinateurs Vero et remplacer plusieurs composants, dont le clavier. L’objectif est de faire mieux que les 5 à 6 ans de durée de vie actuelle des ordinateurs chez leurs clients particuliers. Avec Vero, l’objectif est d’atteindre 8 ans, comme sur les Chromebook. Rien de révolutionnaire, d’autant plus que l’indice de réparabilité du dernier Acer Aspire Vero est de 8,2/10, là où certains concurrents dépassent les 9,5/10.
Seconde crainte : les produits chimiques
Repartons en 2017, dans les pages du rapport de Greenpeace. En parallèle aux doutes sur la gamme Vero et les craintes de greenwashing, Acer inquiétait par son utilisation très floue de produits chimiques, notamment pour les employés en charge de la fabrication du produit. Lors de sa conférence à Dubaï, la multinationale n’a pas abordé la question. Et les rares mentions du rapport sur la durabilité de 2022 n’évoquent rien de très solide. En cause : le contrôle sur l’utilisation de substances dites « hasardeuses » est un objectif classé « moyen ou long terme ».
Le sujet est pourtant pointé du doigt depuis plus de 20 ans. L’utilisation de produits chimiques intervient à une phase très primaire dans la fabrication, et les marques doivent donc user de leurs capacités de surveillance et leur autorité pour faire en sorte que leurs fournisseurs respectent leurs engagements et n’utilisent pas de produits interdits. Une bonne partie des plus nocifs est censée être totalement écartée, mais certains restent encore à l’appréciation des clients de ces fournisseurs.
Pour justifier de son effort de contrôle, Acer met en avant ses centaines d’audits, réalisés en interne et auprès de ses fournisseurs. Mais comme l’expliquait Valérie Piau, le plus dur et d’aller enquêter auprès des fournisseurs de second plan, qui travaillent pour les fournisseurs de premier plan. Les audits sont une première façon de contrôle, la seconde étant l’utilisation de pénalités. « On peut aller jusqu’à la rupture de contrat. Ça réduit forcément le panel de fournisseurs et notre compétitivité, mais c’est nécessaire pour respecter notre engagement », expliquait Valérie Piau à 01net.
Le sujet semble encore très sensible pour Acer, qui épinglait discrètement l’un de ses fournisseurs dans son dernier rapport de durabilité, pour « pour un manque sérieux d’analyse pertinente ». Et très vite la firme dévie du sujet de l’utilisation de produits chimiques à celui de celui de l’utilisation d’énergie 100 % renouvelable pour le fonctionnement de ses usines et de celles de ses fournisseurs. « 60 % de nos fournisseurs ont rejoint notre engagement RE100 (100% renewable energy ndlr). Il reste donc 40 % à faire converger. Et on doit s’assurer que 100 % viennent s’inscrire sur ce même objectif et cette même transparence », précisait Valérie Piau.
Double matérialité
Avec leur transition lente et leur capacité marketing immense, les géants de la tech n’ont jamais été les plus pertinents et les plus respectés par l’opinion publique pour parler d’éco-responsabilité. Mais pour voir l’importance des critères ESG augmenter, et l’industrie revoir ses processus pour un meilleur bilan carbone, le marché ne pourra pas faire sans eux. À l’instar de ce que nous avions pu observer à Seattle, le fief d’Amazon, la dynamique d’Amazon pour passer des colis en carton à du papier, celle d’Acer est d’une importance capitale.
L’impact est immense, pour l’engagement climatique, mais aussi pour le futur de la société. Fait intéressant : dans un graphique classant ses principaux risques et menaces, Acer positionnait au second rang les obligations ESG, juste après la catégorie « Géopolitique », en référence à la situation instable entre Taïwan et la Chine. Tout porte à croire que la survie d’Acer ne se fera pas sans un effort du côté de l’éco-responsabilité, et le besoin d’éduquer les clients pour les faire passer sur des produits avec des composants recyclés, quite à rogner sur l’esthétique.
Au cœur de la dynamique complexe qui lie Acer à ses partenaires de production, réside une notion clé de la finance durable : le concept de « double matérialité ». Ce dernier nous rappelle que les entreprises sont dépendantes de leur environnement, tout en ayant un impact sur lui. D’où leur nécessité de participer à l’effort commun. Les fournisseurs d’Acer fonctionnement de la même matière : si le fabricant en est dépendant, il nous prouve avec le contrôle sur les matières chimiques que son autorité est bien réelle, et que la responsabilité de lancer les initiatives lui revient donc.
Il faudra alors continuer de répandre le message aux fournisseurs, et ne plus voir uniquement l’ESG « sous le prisme des coûts », comme le déclarait Jérémie Joos, associé de KPMG France, au site Challenges en décembre 2022. « Quand on élargit le regard, et la méthode, on voit que l’ESG permet aussi de créer de la valeur pour l’entreprise », ajoutait-il. Un point qui devra aussi motiver des entreprises comme Acer à tourner l’industrie vers une production plus locale aussi, alors que les transports pèsent en grande majorité sur l’impact carbone final d’un produit.
En Europe, « ACER » est aussi l’acronyme de l’agence de coordination des régulateurs sur les énergies. Une belle coïncidence, pour venir y lancer une production ?