DécryptagesLe succès de la plate-forme de jeu vidéo Roblox amène à questionner son modèle économique. Les enfants et adolescents y sont les rouages essentiels d’une machine qui préoccupe désormais le législateur français.
En mars 2021, l’entrée en Bourse à hauteur de 46 milliards de dollars de Roblox Corporation avait impressionné l’industrie du jeu vidéo. Partie en 2004 de la simple idée d’une plate-forme de jeux créés et testés par les joueurs eux-mêmes, l’entreprise états-unienne se classe aujourd’hui parmi les plus populaires à travers le monde, tant chez les investisseurs que chez les joueurs. Au premier trimestre de 2022, ces derniers étaient en effet quelque 54,1 millions, dont 15 millions en Europe, à se connecter chaque jour à Roblox. Un chiffre en hausse de plus de 28 % sur un an, d’après le dernier bilan de la firme.
Roblox vise pourtant un public très particulier. Près de la moitié (47 % début 2022) des utilisateurs de la plate-forme sont âgés de moins de 13 ans, ce qui fait d’elle l’un des services de jeu vidéo les plus appréciés chez les enfants et les adolescents. Si Roblox se distingue de ses concurrents par les designs simplistes des jeux de son catalogue, c’est avant tout le fonctionnement même de son écosystème qui séduit les plus jeunes. Sur cette plate-forme communautaire, chacun peut créer et héberger gratuitement son propre jeu (Roblox préfère le terme d’« expérience ») à l’aide d’outils de développement pensés pour un public débutant.
L’entreprise se contente ainsi d’administrer sa plate-forme, de maintenir des serveurs et de mettre à jour son logiciel de développement, tandis qu’elle capitalise sur les jeux construits par ses très nombreux apprentis développeurs, dont une grande majorité sont mineurs. A l’occasion de l’organisation par les Nations unies de la Journée mondiale contre le travail des enfants, Le Monde s’est intéressé au sort de ces jeunes internautes qui font vivre l’empire vidéoludique de Roblox en étant à la fois les petites mains et les cibles commerciales d’un système économique ubérisé.
« Roblox est rempli de microtransactions »
Proposer à des joueurs de bâtir eux-mêmes les jeux auxquels ils jouent n’a rien d’inédit. Minecraft (Mojang Studios), Garry’s Mod (Facepunch Studios) ou plus récemment Fortnite (Epic Games), avec son mode créatif, ont tous fait ce pari. Chez Roblox, il suffit de taper quelques lignes de code dans le logiciel gratuit Roblox Studio et de publier son « expérience » pour qu’elle soit recensée sur le site officiel, accessible depuis n’importe quel navigateur Web. Un véritable jeu d’enfants.
Mais si tous les jeux du très vaste catalogue Roblox sont accessibles gratuitement, la notion d’argent y est omniprésente. La plate-forme a même sa propre monnaie, le Robux, une devise virtuelle indexée sur le dollar et qui permet à ses joueurs d’acheter toutes sortes de contenus optionnels (vêtements, accessoires, plug-ins de développement, etc.). Ces microtransactions sont partie intégrante du modèle économique de Roblox, en particulier dans les « expériences » dites pay-to-win (littéralement, « payer pour gagner ») ou présentant des lootboxes, ces fameuses pochettes-surprises virtuelles contenant des butins plus ou moins rares.
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