Il y a sept mois, Mathilde était une simple étudiante en fac de cinéma. Aujourd’hui, la jeune femme de 19 ans compte 1 million d’abonnés sur le réseau social TikTok, travaille avec des marques et jouit d’une petite notoriété. Pour elle, c’est par un format appelé « Get Ready With Me » (« préparez-vous avec moi ») que tout a commencé. Le principe est de se filmer en train de se maquiller, de se coiffer pour l’école ou pour une sortie. Et souvent, on profite de ce moment pour faire un « story time », c’est-à-dire raconter une histoire ou une anecdote personnelle.
Format vidéo historique du Web, les « Get Ready With Me » (ou « GRWM » pour les intimes) se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène médiatique depuis février 2024. La faute à une polémique liée au compte TikTok Abrège frère (1,3 million d’abonnés). Son concept : résumer en quelques secondes un récit considéré comme traînant un peu trop en longueur.
Rapidement, voyant les appels à « abréger » leurs vidéos se multiplier dans leurs commentaires, des créatrices de contenu ont reproché à Abrège frère, et surtout à sa communauté, de nourrir la misogynie en ligne. Une manière de « normalis[er] le fait de dire à des meufs qui font leur petite “story time” et leur tuto make-up de fermer leur bouche », selon l’influenceuse Chloé Gervais (630 000 abonnés sur TikTok). Après des semaines de silence, « Abrège frère » a fini par réagir dans une interview accordée au Parisien, appelant ceux qui le suivent à cesser le harcèlement.
« C’est le moment où je suis le plus vulnérable »
On peut trouver futiles ces « story times » faits en se pomponnant, souvent avec les mêmes produits à la mode ou les mêmes marques en vogue. Les débats engendrés par Abrège frère montrent pourtant en creux à quel point, depuis leur apparition sur YouTube au début des années 2010, les « Get Ready with Me » sont devenus au fil des ans un espace d’expression central pour les femmes sur Internet.
« J’ai grandi avec le YouTube des années 2010, et j’étais déjà tombée sur ce format, raconte ainsi Mathilde. Mais, à l’époque, c’était fait de manière beaucoup moins personnelle qu’aujourd’hui. » Auparavant, les contenus étaient beaucoup plus éducatifs, selon l’étudiante : comment tracer un trait d’eye-liner parfait, comment reproduire tel chignon ou tel look… Maintenant, « les gens ont besoin de s’identifier très personnellement au créateur ».
Alors, en appliquant son mascara au petit matin, Mathilde se livre : mauvaise note à un examen, oral important le lendemain, fatigue, anxiété… Tout peut être abordé face à son téléphone. « Quand je me prépare, c’est le moment où je suis le plus vulnérable, sans maquillage, au naturel, c’est très intimiste, détaille-t-elle. Elle évoque également des sujets plus profonds, comme sa santé mentale. Mes tendances dépressives, c’était quelque chose dont je n’avais même pas parlé à mes amis avant de le dire sur TikTok. Ma communauté réagit, on échange, on partage les mêmes problèmes en fait. »
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