« Le motif n’est pas le même que l’image du produit » ; « je me sens trompé, le motif n’est pas le même que la photo promotionnelle » ; « comme d’autres l’ont dit, j’ai commandé ce modèle, et ce n’est pas le même modèle que sur la photo »… Les avis négatifs ne manquent pas sur cette boutique Etsy consacrée au crochet. La vendeuse prénommée Rebecca, située en Roumanie, propose des patrons (de simples instructions textuelles et au format PDF) pour réaliser soi-même de charmants petits personnages en laine. Pourtant, à y regarder d’un peu plus près, les modèles de Pokémon, de hérissons ou de ratons-laveurs ont quelque chose qui cloche. Un fond flou ou une apparence trop lisse trahissent souvent leur origine : ils sont générés par intelligence artificielle (IA).
En se faisant passer pour un client curieux, nous obtenons de la vendeuse des photos en effet moins attirantes, dévoilant un produit fini bien plus élémentaire. Les acheteurs, souvent des acheteuses, sont en colère et le font savoir. Rebecca a proposé à au moins l’une d’entre elles de la rembourser si elle retirait son commentaire négatif, et lui a promis qu’elle allait revoir le patron.
La boutique de Rebecca est loin d’être la seule. « Je vois de plus en plus de fausses photos sur mon fil Facebook », témoigne Laurène Rein, créatrice du site de crochet l’Univers de Lalu. Des images, raconte-t-elle, souvent bidon qui récoltent néanmoins un nombre suspect de likes et de commentaires positifs. Celle qui propose, sur son blog, un guide permettant de détecter les faux le reconnaît : avec les progrès des IA génératrices d’images, même les crocheteuses expérimentées et sensibilisées peuvent se laisser berner.
Avec le succès viennent les abus
Selon les cas, derrière les images alléchantes générées par IA sont vendus des patrons de base, mais authentiques. Parfois, le texte est accompagné d’instructions plus ou moins fantaisistes générées par le robot conversationnel ChatGPT. D’autres ne s’encombrent même pas de telles considérations et se contentent de voler leurs patrons ailleurs. Le prix, lui, tourne autour de trois ou quatre euros – c’est le cas de ceux de la boutique de Rebecca – mais peut monter au-delà de dix euros.
Pourquoi s’en prendre à une bande de tricoteurs et de crocheteurs ? Pour Lise Palmer, qui a fondé le site Lise Tailor il y a cinq ans et propose ses propres patrons, la communauté est victime de sa croissance : « Au début, le crochet était considéré comme quelque chose de ringard, mais aujourd’hui même les jeunes s’y mettent – avec un attrait pour l’aspect fait main et écologique. Et avec le succès, viennent les abus : nos motifs exclusifs ont été retrouvés moins chers sur [le site de commerce en ligne] AliExpress, je n’aurais jamais cru vivre ça avec un site de tricot ! »
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