« La première dame d’Internet », « la sainte patronne des JPEG », « le péché originel de la tech »… Les différents surnoms attribués à « Lenna » donnent une idée du statut que cette photo cinquantenaire, et la femme qui y figure, ont acquis dans le monde de l’informatique. Mais depuis quelques années, l’utilisation de cette image est critiquée. Au point que mercredi 27 mars, l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEEE), la plus grande société savante du secteur, a annoncé à ses membres qu’elle n’accepterait plus les manuscrits la contenant à partir du 1er avril.
Pour comprendre cette histoire, il faut revenir en 1972. Cette année-là, Lena Forsén, une Suédoise de 21 ans, participe à une séance photo pour le magazine américain Playboy. Un cliché est publié dans l’édition de novembre, sur lequel la jeune femme, qui fixe l’objectif, ne porte qu’un boa, des bottines et un chapeau à plumes. Elle demande que le « N » de son prénom soit doublé, afin d’éviter que les Américains ne le prononcent « Lina ». Ce sera sa seule et unique apparition dans les pages du magazine érotique.
Quelques mois plus tard, dans les locaux de l’université de Californie du Sud, de jeunes ingénieurs en informatique, spécialistes du traitement d’images, recherchent une nouvelle photo qui puisse servir de test pour leurs recherches. L’exemplaire de Playboy traîne dans les bureaux : la photo de « Lenna » fera l’affaire. Ils n’en scannent qu’une partie, un carré montrant son visage et le haut de son épaule.
La photo sera mise à disposition d’autres chercheurs et devient une figure incontournable de la recherche en informatique : elle apparaît dans d’innombrables articles scientifiques, dont ceux ayant contribué à la création du format JPEG, aujourd’hui massivement utilisé. Pour tester des programmes, l’image a des avantages : la présence d’un visage, différentes textures, les détails des plumes… Alors même que le nombre de photos accessibles aux ingénieurs pour leurs expérimentations se multiplie, jusqu’à se compter en milliards, le visage de Lena Forsén continue à apparaître régulièrement dans les publications scientifiques. Sa présence est devenue une tradition, presque un mème.
Quant au magazine Playboy, qui avait d’abord menacé de poursuivre en justice les personnes utilisant cette image sans payer de droit d’auteur, il a finalement changé d’avis. « Nous avons décidé que nous devrions plutôt exploiter cela, parce que c’est un phénomène », avait déclaré en 1997 une cadre du magazine, Eileen Kent.
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