Les lobbys industriels étaient à l’affût. Quand, fin 2023, la France soumet à l’Europe son projet d’indice de durabilité des smartphones, le texte est attaqué par trois représentants de l’industrie, dont l’Alliance française des industries du numérique (Afnum), qui fédère notamment Apple et Samsung. Les lobbys choisissent un canal discret pour le faire : le site TRIS (Technical Regulation Information System) de la Commission européenne, où l’on peut dénoncer les lois nationales allant à l’encontre du droit communautaire.
Leurs arguments juridiques sont révélateurs : le projet français va « à l’encontre du libre commerce », « viole des secrets commerciaux » et « fragmente le marché ». Trois raisons piochées dans l’arsenal réglementaire pro-business de l’Union européenne (UE), qui s’est construite autour de la défense du commerce et dont les institutions, en 2024, voient leurs couloirs tapissés d’affiches fêtant les 30 ans du marché libre. Il est fréquent que les industriels s’appuient sur ce riche corpus juridique pour obtenir le rabotage de lois écologiques, selon un rapport de l’ONG de surveillance des lobbys Corporate Europe Observatory (CEO).
Les militants de la durabilité, eux, ne contre-attaquent pas. Et pour cause : ils n’ont pas vu passer la contribution des lobbys. Ni l’ONG proréparation anglaise Restart, ni l’ONG française Halte à l’obsolescence programmée (HOP), ni l’entreprise d’aide à la réparation iFixit. Une coalition hétéroclite dont les troupes sont trop clairsemées pour tout surveiller. « Le plus compliqué, c’est de savoir ce qu’on ne voit pas », concède Thomas Opsomer, chargé de plaidoyer chez iFixit.
La Commission finit par rejeter le texte français sur la base d’arguments proches de ceux de l’Afnum, tuant dans l’œuf l’indice de réparabilité des smartphones. Et laissant seule en piste l’étiquette européenne, moins ambitieuse.
Un rapport de force déséquilibré
Ce genre d’escarmouche, trois textes européens visant à prolonger la vie de nos appareils électroniques en ont fait les frais ces dernières années : la directive sur l’Ecodesign (qui incite les fabricants à concevoir des appareils durables), le règlement sur les batteries et la directive sur le droit à la réparation. Toutes sont aujourd’hui proches d’être finalisées, mais sont jugées très lacunaires, bien qu’encourageantes, par les militants. « Ça n’est pas digne de l’urgence climatique », s’alarme ainsi Thomas Ospomer.
La faute notamment, selon les défenseurs de l’environnement, à l’opposition des industriels. Leurs lobbys sont très actifs dans les réunions de travail de la Commission, l’institution-clé qui élabore les directives, ainsi qu’au Joint Research Center, le cabinet d’études publiques qui défriche les législations pour la Commission.
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