La secrétaire d’Etat à la ville, Sabrina Agresti-Roubache, estime que « les réseaux sociaux sont une arme de destruction massive de notre jeunesse ». Le premier ministre, Gabriel Attal, ne veut pas « d’un pays où TikTok remplace les romans ». Sylvain Maillard, le patron des députés Renaissance à l’Assemblée nationale, pense quant à lui que TikTok est « un site organisé pour nous rendre totalement débile ». Depuis plusieurs mois, des cadres de la majorité présidentielle multiplient les attaques contre les réseaux sociaux, et plus particulièrement contre TikTok, accusé d’abêtir les plus jeunes et de les rendre accros.
La cible est nouvelle, mais l’argumentaire, lui, est vieux comme la IIe République. En 1848, les ouvriers parisiens se révoltent contre la fermeture des ateliers nationaux lors des « journées de juin », qui feront plusieurs milliers de morts. Mais pour une partie de la droite conservatrice, alors majoritaire à l’Assemblée, la cause profonde des émeutes n’est pas seulement le chômage : ce sont aussi les romans-feuilletons, et notamment Les Mystères de Paris (1842-1843), d’Eugène Sue, qui sont à blâmer.
Décadents, transgressifs, abrutissants, dangereux pour les femmes comme pour les plus jeunes… Les romans-feuilletons sont accusés de pervertir les masses et disparaîtront à partir de 1850, victimes d’une taxe spécifique adoptée par les députés. « Inquiet des ravages de la lecture auprès des éternels “mineurs” du XIXe siècle, ouvriers, femmes et enfants, et faisant l’amalgame entre mise en scène de l’adultère, défense du divorce, apologie de l’insurrection et roman-feuilleton, le parti de l’ordre s’est attaqué directement aux mœurs des romans-feuilletons en 1850 », résume l’historien Sébastien Hallade.
« Paniques morales »
Bien sûr, beaucoup de choses séparent un reel Instagram ou une vidéo TikTok d’un roman d’Eugène Sue ou d’Alexandre Dumas – même si les deux médias ont en commun un goût immodéré pour le saucissonnage d’œuvres longues. Mais force est de constater qu’à chaque grande innovation dans la diffusion d’œuvres et de médias, des discours très similaires s’inquiètent que ces nouveautés engendrent addictions, avilissement ou mauvais comportements de la part des plus jeunes.
« Quand une nouvelle culture émerge, avec une nouvelle génération, il y a presque toujours une guerre culturelle, une guerre générationnelle », estime auprès du Monde Louis Anslow, l’éditeur de Pessimists Archive, un site qui répertorie les archives de la presse anglophone critiquant l’émergence de nouvelles technologies et cultures.
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