Fin octobre, à la Paris Games Week, le plus grand salon français du jeu vidéo, les visiteurs se sentant l’âme un peu chauvine pouvaient délaisser les longues files d’attente pour tester les blockbusters américains, comme le dernier Call of Duty : Black Ops, et essayer plutôt des créations françaises. Sur le stand « Jeux made in France », une bonne dizaine d’éditeurs allant d’Ankama (pour Savara) à Arte (pour Looking for Fael) présentaient leurs créations récentes ou à venir. A leurs côtés : Warhammer 40 000 : Space Marine 2, jeu à fort budget et succès commercial de cet automne, édité par le français Focus Entertainement, qui a quadruplé son chiffre d’affaires grâce à lui.
Sauf que Space Marine 2 n’est pas vraiment made in France, mais plutôt сделано в россии, « fabriqué en Russie ». Focus Entertainement est bien l’éditeur du jeu, mais le titre a été développé par Saber Interactive, une entreprise fondée à Saint-Pétersbourg en 2001. Or, si celle-ci bat aujourd’hui pavillon américain, elle semble toujours opérer principalement depuis la Russie, comme le soulignait récemment la presse ukrainienne : sur le réseau social LinkedIn, 400 des 900 employés de Saber Interactive inscrits indiquent qu’ils vivent en Russie ; et le directeur de la filiale russe du groupe, Vladimir Chernyish, est listé comme « responsable du studio » dans les crédits de Space Marine 2. La page Facebook du titre, quant à elle, est principalement administrée de Russie.
Prises de distance relatives
Space Marine 2 est un cas emblématique mais loin d’être isolé. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, plusieurs studios de jeux vidéo locaux ont pris grand soin de se distancier de leur pays d’origine. Mundfish, le développeur d’Atomic Heart, un jeu de tir sorti en 2023 et qui se déroule dans une Russie soviétique alternative et steampunk, a fait disparaître de son site Internet tout ce qui le liait à la Russie. Alors que de multiples reportages de la presse russe dans les bureaux du studio, datant d’avant la guerre, attestent qu’il a été créé à Moscou, sa page « A propos » affirme à présent qu’il a été fondé « par une équipe de personnes partageant les mêmes idées à Chypre ». Le patron du studio, lui, est aujourd’hui présenté comme étant « Robert Bagratuni ». Un pseudonyme car, à l’état civil, « Robert » s’appelle en réalité Maxim Zatsepin.
Mundfish a exfiltré une partie de ses développeurs en Serbie et à Chypre après le début de la guerre, a fermé des bureaux à Moscou et affirme n’avoir aucun rapport avec « des entreprises d’Etat ou des administrations russes ». Mais la société conserve en réalité des liens importants avec Moscou, dont une filiale toujours en activité et un contrat de distribution exclusif avec la branche jeux vidéo de VK, société indirectement contrôlée par l’Etat russe.
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