Le résultat de l’élection présidentielle américaine va avoir une incidence forte sur le secteur des technologies.
Le prochain président américain devra prendre des décisions cruciales en élaborant le futur cadre réglementaire des innovations les plus transformatrices de la Silicon Valley. Et cette réglementation aura des implications considérables pour les entreprises et les utilisateurs de technologie.
La vice-présidente Kamala Harris et l’ancien président Donald Trump ont des visions différentes sur la façon de naviguer dans le monde de la technologie.
Innovation responsable vs. lutte contre la surréglementation
Si elle est élue présidente, la vice-présidente Harris s’est engagée à redoubler les efforts de l’administration Biden pour régir l’IA, protéger les citoyens de leurs effets néfastes et faire des États-Unis un leader mondial de l’innovation responsable.
L’ancien président Trump a une approche différente. Il s’est engagé à libérer l’industrie technologique américaine de la surréglementation, en donnant aux innovateurs la liberté de créer et d’être compétitifs. Il a également suggéré que les tentatives de l’administration Biden pour atténuer les inconvénients de la technologie n’ont fait que jouer en faveur de la Chine. Dans son discours d’adieu, M. Trump a affirmé que M. Biden avait « peur » de la Chine et s’est vanté d’avoir « supprimé plus de réglementations néfastes pour l’emploi qu’aucune autre administration ne l’avait jamais fait auparavant ».
Avec l’accélération des changements technologiques, les enjeux d’une bonne politique technologique n’ont jamais été aussi importants. Voici un aperçu des divergences entre les candidats sur certaines des questions critiques pour l’industrie de la tech.
La gouvernance de l’IA, sujet de division entre les deux candidats
L’IA s’est imposée comme une question déterminante dans la course à la présidence.
Mme. Harris a fait savoir qu’il était prioritaire de veiller à ce que les systèmes d’IA soient développés et déployés de manière responsable. S’appuyant sur les initiatives de l’administration Biden, elle a appelé à augmenter les investissements fédéraux dans la recherche et le développement en matière d’IA. Et ce en mettant l’accent sur le soutien aux projets qui privilégient la sécurité, la transparence et la responsabilité.
La gouvernance de l’IA, les propositions de Kamala Harris
L’expansion du National Artificial Intelligence Research Resource est au cœur de son programme en matière d’IA. Cette plateforme de cloud computing permet aux chercheurs d’accéder à de puissantes ressources informatiques et à des ensembles de données gouvernementales de grande qualité.
« Mme. Harris a joué un rôle majeur dans l’approche de M. Biden, et elle s’appuiera probablement sur ce travail pour s’attaquer au potentiel de l’IA à exacerber les risques pour la vie privée ou à exercer une discrimination injustifiée. Et ce en particulier dans le contexte de l’utilisation de l’IA par le gouvernement », explique Chloe Autio, analyste de la réglementation de l’IA.
Les politiques sur la technologie de Mme Harris peuvent donc avoir des répercussions importantes sur les entreprises et les consommateurs de technologie.
Sur la base de son bilan en tant que vice-présidente et de son programme de campagne, Mme Harris devrait adopter une approche de la réglementation de l’IA équilibrée, mettant l’accent sur l’innovation responsable tout en répondant aux préoccupations en matière de sécurité et d’éthique.
Elle maintiendra ou développera probablement des initiatives telles que la loi Biden-Harris CHIPS and Science Act, qui oriente par le financement la production nationale de technologies de pointe.
Pour les consommateurs, Mme Harris plaide en faveur d’une protection plus solide de la confidentialité des données. Elle pourrait faire pression en faveur de réglementations plus strictes sur la manière dont les entreprises technologiques collectent et utilisent les données personnelles.
Dans ce contexte, Mme Harris a soutenu le cadre de l’administration Biden pour la Charte des droits de l’IA. Il s’agit de principes visant à sauvegarder les libertés civiles et à garantir que les systèmes d’IA sont équitables, transparents et responsables.
Elle a également souligné l’importance de travailler avec des nations alliées pour établir des normes mondiales en matière de développement et de déploiement de l’IA, citant son rôle dans l’élaboration de la déclaration de Bletchley. Il s’agit d’un pacte multinational reconnaissant les risques de l’IA et s’engageant à les atténuer par le biais de cadres de gouvernance coordonnés.
« Mme Harris continuera à jouer un rôle mondial dans la gouvernance de la technologie », dit Ivana Bartoletti, responsable de la protection de la vie privée chez Wipro.
La gouvernance de l’IA, ce que veut faire Donald Trump
La campagne de Trump, en revanche, s’est engagée à modifier fondamentalement les réglementations de l’administration Biden en matière d’IA. Le candidat explique qu’elles désavantagent les entreprises américaines par rapport à la Chine.
« Nous abrogerons le dangereux décret de Joe Biden qui entrave l’innovation en matière d’IA et impose des idées de gauche radicales au développement de cette technologie », peut-on lire dans le manifeste de M. Trump. « À la place, les républicains soutiennent le développement de l’IA fondé sur la liberté d’expression et l’épanouissement de l’être humain ».
« M. Trump y voit le problème sous-jacent d’une industrie technologique « woke », absorbée par la censure des discours et des idées conservateurs », explique Chloe Autio. « Malgré le fait que le décret sur l’IA de Biden n’aborde pas vraiment la modération du contenu, Trump a annoncé qu’il l’abrogerait dès le premier jour s’il était réélu. » Cela suggère donc une approche de laisser-faire avec moins de surveillance gouvernementale.
Comment se positionnent les grandes entreprises de la tech face à Harris et Trump ?
Les entreprises technologiques recalibrent leurs stratégies pour naviguer dans un paysage réglementaire instable.
Les leaders de l’industrie tendent la main à Trump, cherchant à se réconcilier et à établir des relations. Des entreprises comme Apple, Google et Amazon s’engagent dans une diplomatie préventive, leurs PDG entamant des conversations avec l’ancien président.
Cette démarche suggère une reconnaissance de l’influence de Trump et la nécessité de se positionner favorablement en cas de réélection.
Liberté contre réglementation sur les cryptomonnaies
Les événements tumultueux de l’année dernière – de l’implosion de l’échange de crypto-monnaies FTX à une série de cyberattaques liées à des gouvernements étrangers – ont alimenté le débat outre-Atlantique sur la manière dont il convient de contrôler l’industrie technologique.
Mme. Harris souhaite mieux encadrer les crypto-monnaies
Mme. Harris sur les monnaies numériques souligne la nécessité de protéger les consommateurs et d’éradiquer les activités illicites tout en préservant un espace pour l’innovation financière.
« Il s’agit d’un domaine dans lequel l’approche des candidats pourrait diverger de manière significative » explique Mme. Bartoletti. « Mme. Harris mettra probablement l’accent sur l’équilibre entre l’innovation et l’impératif de minimiser les dommages causés aux consommateurs ».
L’administration Biden a pris des mesures initiales pour réglementer l’industrie des crypto-monnaies, notamment en imposant des sanctions aux entreprises de crypto liées à des attaques de ransomware. Elle a aussi créé un nouveau cadre pour le développement responsable des actifs numériques. Mais Mme Harris a suggéré qu’elle irait plus loin. Elle veut une législation exigeant que les bourses de crypto-monnaies et d’autres fournisseurs de services s’enregistrent auprès du gouvernement et se conforment aux règles de lutte contre le blanchiment d’argent.
M. Trump veut assouplir la réglementation sur les crypto-monnaies
M. Trump, qui possède sa propre entreprise et sa propre monnaie cryptographique et qui a déjà lancé le concept d’une « réserve nationale de bitcoins« , préconise une approche beaucoup plus souple des actifs numériques, arguant que des réglementations trop strictes risquaient de faire fuir l’innovation à l’étranger.
Dans un discours prononcé l’année dernière, il a accusé l’administration Biden de mener une guerre contre le bitcoin.
Il a promis d’aider le secteur s’il était élu président. Bien que peu détaillée, la proposition semble indiquer une position non interventionniste à l’égard du secteur, avec peu de garanties pour les consommateurs ou le système financier.
Le flou de Donald Trump sur la cybersécurité
En ce qui concerne la cybersécurité, M. Harris a demandé que le gouvernement réagisse plus vigoureusement aux attaques numériques qui ont paralysé des hôpitaux, des écoles, des gazoducs et d’autres infrastructures essentielles au cours des dernières années. L’année dernière, la Maison Blanche Biden-Harris a publié la Stratégie nationale de cybersécurité.
Elle s’est prononcée en faveur de normes de sécurité minimales pour les appareils connectés à l’internet. Elle veut aussi une responsabilité financière pour les fabricants de logiciels qui ne corrigent pas les vulnérabilités connues à l’origine des violations. Ces idées ont fait leur chemin parmi les experts en cybersécurité. Mais elles se heurtent à la résistance des groupes industriels.
Il reste à voir si une deuxième administration Trump adopterait une approche plus énergique en matière de réglementation de la cybersécurité. Comment ? En exigeant par exemple des entreprises des secteurs critiques qu’elles signalent les violations au gouvernement ou en mettant en place un fonds dédié à la cyber-résilience. Toutefois, certains experts craignent que sa rhétorique « America First » et ses relations tendues avec ses alliés n’entravent la coopération internationale en matière de menaces numériques.
Reconstruire la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs, le consensus des deux candidats
Les pénuries provoquées par la pandémie ont propulsé un secteur longtemps négligé sous les feux de la rampe : celui des semi-conducteurs.
Le Biden-Harris CHIPS and Science Act a représenté une incursion significative de l’administration américaine dans la politique industrielle. L’idée ? Relocaliser la fabrication des semi-conducteurs. Mais aussi réaffirmer le leadership des États-Unis dans les technologies stratégiques.
Deux ans plus tard, le fait qu’elle ait réussi à catalyser les investissements nationaux est largement considéré comme un succès selon les normes économiques.
Dans une rare démonstration de bipartisme, le Congrès a adopté l’année dernière la loi CHIPS, qui prévoit plus de 50 milliards de dollars de subventions et de crédits d’impôt pour stimuler la fabrication américaine de puces et réduire la dépendance à l’égard des fournisseurs étrangers. L’administration Biden a présenté cette loi comme une réalisation emblématique qui créera des emplois, renforcera la sécurité nationale et aidera les États-Unis à rivaliser avec la Chine.
M. Harris et M. Trump se sont tous deux engagés à poursuivre la mise en œuvre de la loi s’ils sont élus à la présidence. Toutefois, certains des projets financés ont récemment subi des retards et des dépassements de coûts, ce qui soulève des questions quant à l’efficacité du programme.
« Si Intel continue d’échouer, cela pourrait donner une mauvaise image de l’administration Biden, ce qui pourrait inciter Mme Harris à prendre ses distances avec le programme », explique Chloe M. Autio. « Trump s’en servirait comme preuve de l’échec de l’initiative ».
Promouvoir l’innovation « made in America »
La campagne Trump a accusé l’administration Biden d’utiliser la loi CHIPS pour récompenser des alliés politiques. Elle souligne le fait que certaines des subventions les plus importantes ont été accordées à des entreprises ayant des liens avec des législateurs démocrates. Mais les partisans de la loi soutiennent qu’il s’agit d’une étape cruciale vers la reconstruction d’une industrie stratégique que les États-Unis ont laissé s’atrophier pendant des décennies.
« Le CHIPS and Science Act a alloué des centaines de milliards de dollars pour soutenir la fabrication de semi-conducteurs aux États-Unis et a incité les alliés des États-Unis, y compris les principaux fournisseurs de semi-conducteurs que sont le Japon et les Pays-Bas, à imposer des restrictions à l’accès de la Chine aux technologies de pointe », explique Mme Bartoletti. Selon elle, il y a plus d’alignement que de différence entre M. Harris et M. Trump en ce qui concerne la protection de la position mondiale de l’industrie américaine.
Les deux candidats semblent vouloir sécuriser les chaînes d’approvisionnement essentielles et promouvoir l’innovation « made in America ». Toutefois, Mme Harris pourrait se concentrer davantage sur la distribution des gains économiques du boom technologique aux employés et aux consommateurs. Elle a mis l’accent sur la création d’une « économie de l’opportunité » qui profite à la classe moyenne et a proposé des initiatives telles que l’extension des programmes d’apprentissage pour aider les travailleurs à trouver des emplois dans la technologie sans avoir besoin de diplômes de quatre ans.
À l’inverse, M. Trump semble enclin à laisser les entreprises technologiques plus libres, en mettant l’accent sur les réductions de l’impôt sur les sociétés et la déréglementation pour stimuler l’innovation. Son approche met l’accent sur la protection des entreprises américaines et la réduction de la surveillance gouvernementale afin de promouvoir le progrès technologique et la croissance économique sans entraves.
Et qu’en est-il des mesures antitrust sur la tech ?
Alors que les géants de la technologie accumulent une puissance qui rivalise avec celle des États-nations, l’antitrust est redevenu un sujet de discorde majeur. L’administration Biden a adopté une position agressive, en intentant des procès très médiatisés.
« L’administration Biden a adopté une position ferme sur les questions antitrust, et Mme Harris suivra probablement une voie similaire, étant donné qu’elle met l’accent sur l’élargissement des opportunités pour tous les Américains », a prédit Mme. Bartoletti. « L’administration Biden a ciblé les grandes plateformes, s’attaquant souvent aux pratiques prédatrices au nom des droits des consommateurs ».
Le bilan et la rhétorique de Trump brossent un tableau plus ambigu.
« Trump a beaucoup parlé des géants de la Silicon Valley par le passé, affirmant que ces entreprises représentent une menace pour les élections américaines plus que la Russie, en raison de ce qu’il appelle leur parti pris anti-conservateur », dit Mme. Bartoletti.
Toutefois, elle souligné que l’impact final provient souvent de choix personnels spécifiques. « Il reste à voir s’il nommera des dirigeants forts à des postes clés, tels que la FTC ».
Les deux candidats sont confrontés au défi de naviguer dans un paysage réglementaire international de plus en plus complexe, en particulier en ce qui concerne les géants américains de la technologie. L’Union européenne a été à l’avant-garde de la pression réglementaire sur les grandes entreprises technologiques, avec de nouvelles lois visant les entreprises technologiques américaines.
L’approche de l’UE, qui met l’accent sur les problèmes de concurrence et de position dominante sur le marché, s’est traduite par des amendes considérables pour des entreprises telles que Google, Apple et Meta. Cette stratégie de l’UE a un impact sur les activités de ces entreprises à l’étranger et fait pression sur les décideurs politiques américains pour qu’ils réagissent.