L’impact de l’IA générative sur le cycle de vie intégral d’un projet digital est profond. Il se manifeste à chaque étape du cycle de vie du projet, de la conceptualisation de l’idée initiale jusqu’à sa mise en œuvre puis à l’amélioration continue de son déploiement et de l’exploitation des solutions développées.
Depuis les débuts de l’informatique, la Direction des Systèmes d’Information est considérée comme référente sur les méthodes de gestion de projet, mais l’IA générative donne aujourd’hui plus de pouvoir à tous les acteurs. Par exemple, lors de la phase de besoins quand l’accès à un LLM permet d’explorer plus vite tous les scénarios, lors de la phase de codage où l’IA peut contribuer à produire le code ou lors de la phase de déploiement l’orsqu’elle peut accompagner les utilisateurs dans les usages. Est-ce que ces évolutions vont modifier notre façon de voir ce processus ?
C’est ce que nous allons explorer dans ce billet, en parcourant le cycle de vie standard d’un projet numérique, pour analyser l’influence que l’IA générative peut avoir à chaque étape, et nous projeter sur le nouveau paradigme de la gestion de projet qui en découle. Ce premier billet décrit les 4 premières étapes, et le prochain billet traitera les 3 dernières.
L’IA générative, s’appuie sur des modèles sophistiqués de traitement du langage naturel (LLM) capables de simuler la compréhension, l’interpréation et la production de textes ou images (entre autres), de manière autonome. Les cas d’usages testés par les Directions métiers des entreprises en 2024, montrent qu’ils amènent, au sein de des processus, une contribution cruciale à la création de contenus nouveaux, à la prise de décisions éclairées, grâce à l’analyse des données et ce qui est nouveau, au raisonnement, mais aussi à la collaboration au sein des équipes.
Le processus de gestion de projet, n’est pas en reste. On peut imaginer des gains significatifs d’efficacité, des améliorations en termes de précision prédictive et une réduction accrue des risques des projets (qui restent en 2024 LE problème majeur de la gestion de projets, comme en atteste l’actualité sur GiFi et les premiers signes en mars dernier des difficultés de sa migration ERP).
Avec l’IA générative, on peut imaginer à la fois agir sur les produits de la gestion de projets numériques(spécifications, code, …), mais également sur la façon dont ils sont menés à bien (supervision, créativité…). Et tout ceci prépare demain avec leur maintenance et leur fonctionnement en régime de croisière.
Le tableau ci-desssous est une projection « réaliste », qui combine, pour chaque étape, des données de plusieurs projets sur lesquels il y a eu communication des retours (colonne 2), mais surtout qui la pondère par le poids de l’étape au sein du cycle projet (colonne 3). On peut voir que le gain moyen visé actuellement est de l’ordre de 26% sur la phase de « build » et que les étapes qui y contribueront le plus sont autant pour l’organisation du projet que son éxécution. Ce résultat de 26%, est déjà assez conséquent pour que ça incite à y réfléchir, mais n’est pas non plus de l’ordre d’être une rupture totale de la gestion de projet.
Etape des besoins
La phase d’identification et d’analyse des besoins est fondamentale pour assurer la réussite d’un projet. Ceci est bien sûr essentiel dans un projet géré selon une méthode de « cycle en V », puisque l’erreur initiale, même minime, coûtera très chère à rectifier, si elle n’est vue qu’en fin de cycle après le fameux « effet tunnel » important. De ce point de vue l’agilité permet d’amener plus de souplesse, donc réduit déjà en partie ce risque et donc les bénéfices potentiels de l’IA générative.
L’IA générative joue ici un rôle déterminant en facilitant la collecte, la synthèse et l’interprétation des besoins des parties prenantes. Par l’analyse de jeux de données complexes et la génération de questionnaires automatisés, l’IA peut extraire et formaliser des informations structurées et non structurées afin de déceler les besoins essentiels du projet.
Les capacités de l’IA a pouvoir agréger des milliers de retours utilisateurs, identifier les thèmes récurrents et ainsi aligner les objectifs du projet avec les attentes. Cela permet de redonner la main à l’utilisateur (Maitrise d’Usages versus Maitrise d’Ouvrage) et de changer les méthodes de collecte d’information. Là où avant il était très couteux de traiter des questionnaires et des brainstorming avec les utilisateurs, on peut maintenant racourcir ces délais et traiter beaucoup plus d’information. A titre d’exemple Klaxoon, plateforme de brainstorming française bien connue mondialement, a ajouté la fonction synthèse d’idées, il y a quelques mois. On peut imaginer que les plateformes de brainstorming et de collaboration vont rapidement fournir beaucoup de services IA adaptés pour réinventer cette façon de définir les besoins de façon collaborative, et nous aider à les structurer et les formaliser.
Et si vous êtes sur un paperboard avec des idées jetées sur le papier, prenez une photo et demandez à ChatGPT de vous les lister (grâce à son OCR), puis de les analyser, voire d’imaginer les fonctionnalités qui y répondent. Ça marche plustôt bien.
Si les données sont déjà au format numérique, l’IA permet de mener des analyses comparatives entre plusieurs jeux de données, révélant des schémas, et permettant une priorisation des besoins identifiés
On sors ainsi des ateliers avec toute la matière (les idées, actions, fonctions…) déjà exploitable au format numérique, et que l’on peut continuer d’exploiter dans les autres étapes. Pour se donner une idée équivalente de vers quoi évolue ce processus, c’est comme les maquettes numériques dans l’industrie. Le système est conçu, testé, amélioré en numérique, avant d’être construit en physique. La maquette joue un rôle plus grand en amont dans l’industrie, qu’actuellement dans le numérique, où elle se limite à l’IHM.
Avec l’IA générative, on peut certainement se rapprocher des standards de l’industrie, pour la conception et la fiabilité, dans des systèmes numériques qui deviennent de plus en plus complexes, donc de plus en plus difficile à apréhender.
Dans les ESN ou les très grandes DSI, où l’historique des projets est conservé au format numérique, les capacités d’apprentissage automatique vont aussi permettrent à l’IA de faire des suggestions basées sur des projets similaires réalisés auparavant, par d’autres entreprises.
On voit donc avec cette première étape que l’enjeu des LLM concerne aussi bien l’automatisation de la production de certains documents ou livrables, mais aussi de repenser les méthodes de production (jusqu’à la maquette numérique ?) et de mieux capitaliser sur les projets passés et sur la gestion numérique de la connaissance.
On devrait arriver à faciliter une définition beaucoup plus holistique des attentes des différentes parties prenantes, et une harmonisation des objectifs, réduisant ainsi les risques de divergences au cours des étapes ultérieures du projet. A la clef le gain de temps et la fiabilisation des besoins qui réduira les risques du projet.
Mais on voit également que c’est au métier de se transformer pour mieux bénéficier des atoûts de l’IA générative, en hybridant les processus entre ce qui est généré par l’IA et ce qui est validé par l’humain. C’est aussi en exploitant l’opportunité de re-former ses équipes pour être plus efficace dans cette phase critique du projet, voire de réinventer ses méthodes pour tirer partie du potentiel de l’IA.
Etape « Fiche projet »
Une fois les besoins identifiés, la définition et la planification du projet constitue une étape cruciale. Dans certaines DSI elle est matérialisée par une « fiche projet » qui sert de navette et de document pour le comité de décision , avant d’engager ou non les ressources.
On sait qu’avec le temps, ce processus bien aiguisé qui partait de la bonne intention d’allouer les ressources aux projets les plus prometteurs, s’est « emoussé », et n’est souvent plus qu’un processus administratif de rédaction d’une fiche projet, devenue très technique et très peu orientée bénéfices. Elles sont d’ailleurs souvent rédigés par ceux qui ont intérêt à ce que le projet se fasse et non pas ceux qui vont en utiliser ses futurs livrables ou applications 😉
L’IA générative est donc une opportunité de supprimer une grande partie de cette administratif en permettant la création automatisée de documents résumant les dimensions métiers et bénéfices du projet, là aussi de mieux exploiter les données des projets antérieurs similaires, et de réduire les biais humains inhérents à la planification. C’est quand même croustillant de se dire qu’une IA sera plus impartiale, que Nadine ou Gérard, pour évaluer objectivement un projet et en rédiger l’argumentation !
Bien sûr l’humain reste à la manoeuvre et décide d’engager ou pas le projet, mais l’IA l’aide à réflechir objectivement.
En complément de ces fonctionnalités, l’IA est également capable d’effectuer des simulations de scénarios, permettant ainsi de générer et de tester différentes hypothèses de planification. Cela est particulièrement utile dans des environnements complexes, contraints, où les ressources sont limitées et doivent être allouées de manière optimale. Les plus férus de planification prendront en compte d’autres facteurs d’influence, tels que la météo (dans construction), la disponibilité des ressources humaines, ou la logistique. L’enjeu c’est de minimiser les risques en ayant testé plusieur scénarios et en rendant le processus de décision plus transparent et basé sur des données probantes.
Etape de budgétisation
Quand on est allé vite sur l’étape précédente, il reste l’étape du budget pour éviter d’engager un projet qui amène peu de valeur. Ici aussi l’IA peut générer et tester de multiples hypothèses d’allocation des ressources et la définition des budgets réalistes.
Comme l’IA gère plus facilement la complexité, il est aussi possible de revenir à la gestion de projets au sein de portefeuilles projet en s’appuyant sur l’IA pour faciliter le calcul et la visualisation des interdépendances et des contraintes, ce qui peut amélioret la compréhension collective et améliorer la robustesse des décisions à l’echelle du SI.
L’actualisation régulière de ces prévisions budgétaires, pour tenir compte des aléas du projet, peut aussi être réalisée plus facilement quand l’estimation initiale a été faite par l’IA avec un modèle. On peut continuer d’actualiser ses hypothèses et intervenir plus vite sur des dérives potentielles, améliorant ainsi la viabilité du projet. C’est certainement le véritable enjeu de cette étapen que d’aborder les budgets à l’ère de l’IA en passant d’une logique budgetaire figée, à quelque chose de plus dynamique.
Etape de l’exécution, en « cycle en V » ou en agile
Ça y est, le besoin est clair et le projet est défini, budgeté et peut-être lancé. Maintenant il faut délivrer !
L’IA générative est pertinente pour accélérer la production des livrables du projet, que ce soit en conception ou en réalisation. GreenSI en a identifié trois mais il peut y en avoir beaucoup plus :
Les maquettes de l’IHM : Lors de la création de l’interface d’un nouveau site e-commerce, par exemple, un cas d’usage testé est d’utiliser un LLM pour générer une première version des maquettes graphiques. C’est un gain de temps mais aussi la possibilité de traiter plus de contraintes comme d’optimiser, dès le début, l’expérience utilisateur en fonction des meilleures pratiques observées sur des projets similaires.
Les tests utilisateurs : une fois les spécifications rédigées, la génération de la rédaction des cas de tests et des données de tests, peut être grandement automatisée. C’est souvent un maillon faible des projets, car c’est toujours mieux réalisé par une personne formée et spécialisée sur la qualité logiciel, que par les utilisateurs. Mais c’est rarement le cas. L’IA générative peut donc devenir ce testeur qualiticien que vous n’arrivez pas recruter.
Le code applicatif : bien sûr les IA génératives savent produire du code. On est encore plus dans le coaching et l’assistance des développeurs que dans la génération totalement autonome sur la base de spécifications, mais on va forcément s’en rapprocher très vite. On avait abordé le sujet il y a un an (Le nouveau paysage des IA génératives : le code) et ça bouge très vite.
Ce dernier point ouvre pour GreenSI une réflexion à venir .
Si la DSI est traditionnellement référente des méthodes de gestion de projet, c’est parce que la phase de codage a toujours été la plus complexe, et bien marketée par la notion de « bug ». Mais si le LLM baisse cette complexité et promet du code « zéro bug », par l’automatisation du passage de la conception au code et la réduction des risques, cela réduit la gestion de projet à bien définir les besoins amonts et au final réussir le déploiement. Ceci de façon agile et bien intégrée à des processus métiers qui deviennent de plus en plus hybrides. Les projets pourraient alors se concentrer sur la transformation qu’ils apportent, et moins sur le produit qu’il délivrent.
On peut alors se poser la question de quelle est la Direction la pus à même de piloter cette transformation agile et permanente de l’entreprise. Ce n’est pas obligatoirement la DSI…
Retrouvez vite dans le prochain billet l’impact sur les étapes suivantes du cycle projet, pour finalement construire la vision cible à garder en tête du nouveau processus de gestion de projet à l’ère de l’IA générative.