Fusion Android / ChromeOS : une planche de salut pour Google

Fusion Android / ChromeOS : une planche de salut pour Google



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Le procès antitrust intenté par le ministère américain de la justice contre Google est sur le point de devenir l’une des actions réglementaires les plus importantes de l’histoire de la technologie. Le projet de Google de fusionner Android et ChromeOS en une plateforme unifiée qui englobera les smartphones, les ordinateurs portables, les tablettes et les appareils de l’internet des objets (IoT) est au cœur de l’affaire.

Cette fusion présente à la fois des opportunités et des défis pour l’industrie technologique. D’une part, elle pourrait simplifier l’expérience des utilisateurs et encourager l’innovation. D’autre part, elle soulève de sérieuses inquiétudes quant à la concurrence, à la position dominante sur le marché et à l’efficacité des mesures correctives réglementaires.

En 2023, j’ai édité la version finale du rapport de la Fondation Linux, A New Direction for the Mobile Industry : Making the Case for More Open and Transparent Mobile Software, et mené des recherches qualitatives pour le projet. Ce travail a mis en évidence la manière dont les écosystèmes isolés peuvent entraver la concurrence et l’innovation. Et la plateforme hybride prévue par Google illustre ces défis.

Voici sept raisons pour lesquelles la fusion de ChromeOS et d’Android est importante. Et pourquoi l’approche du DOJ dans cette affaire pourrait remodeler l’industrie technologique.

1. Une plateforme unifiée pourrait remodeler les écosystèmes – et les marchés

La vision de Google concernant la fusion de Chrome OS et d’Android est ambitieuse. Imaginez un monde où votre smartphone, votre ordinateur portable et vos appareils connectés partageraient en toute transparence les applications, les mises à jour et les paramètres. Ce type d’intégration pourrait rivaliser avec l’écosystème d’Apple. Et ce tout en conservant la flexibilité caractéristique d’Android.

Une plateforme unifiée pourrait réduire les coûts de production et rationaliser le développement pour les fabricants. Elle pourrait également offrir aux utilisateurs une expérience plus fluide et mieux connectée sur l’ensemble de leurs appareils. Cependant, il y a un inconvénient de taille. Google obtiendrait un contrôle sans précédent sur les marchés du matériel, la distribution des applications et les services en ligne.

Les régulateurs craignent que cette consolidation ne renforce encore la position dominante de Google. Si la fusion se poursuit sans contrôle, le paysage technologique pourrait devenir plus monopolistique que jamais.

2. Les allégations du DOJ (ministère de la justice des Etats-Unis) mettent en évidence la forte emprise de Google sur le marché

Dans son dossier judiciaire concernant l’affaire The United States of America v. Google LLC, le ministère de la justice accuse l’entreprise de maintenir des monopoles dans le domaine de la recherche et de la publicité liée à la recherche en signant des accords d’exclusion. Ces accords font du moteur de recherche de Google l’option par défaut sur divers appareils et navigateurs. De quoi limiter ainsi les possibilités de distribution pour les concurrents.

Le DOJ souligne également les pratiques d’autoréférencement de Google, où des plateformes comme Chrome, Android et Google Play s’encouragent mutuellement. Cela lui permet de garder le contrôle sur l’ensemble de l’écosystème. Pour répondre à ces préoccupations, le DOJ propose des solutions structurelles, telles que la cession de Chrome, d’Android ou des deux. Et ce en plus de l’interdiction des accords d’exclusivité et l’obligation d’afficher des écrans de choix du moteur de recherche.

Toutefois, la mise en œuvre de ces mesures correctives est difficile. Contrairement aux cas précédents, comme celui de Microsoft, où Internet Explorer pouvait être séparé de Windows, les plateformes de Google sont profondément interconnectées. ChromeOS, Android et Google Play Services sont étroitement intégrés. Ce qui fait de la cession une solution complexe et potentiellement perturbatrice.

3. Démêler Android et ChromeOS pourrait déstabiliser les écosystèmes

Alors que le projet Android Open Source (AOSP) est gratuit et accessible à tous, la version d’Android utilisée par la plupart des consommateurs est fortement intégrée aux Google Play Services (GMS) et au Play Store. Ces services fournissent des API essentielles aux développeurs, permettant des fonctionnalités telles que les notifications, les paiements et la géolocalisation.

Si le ministère de la justice impose une cession, les conséquences pour Android et ChromeOS seront importantes. Les développeurs pourraient perdre l’accès à des API essentielles. Ce qui entraînerait des perturbations dans les fonctionnalités des applications. Les consommateurs pourraient rencontrer des problèmes de compatibilité, comme l’impossibilité de télécharger leurs applications favorites ou une diminution des fonctionnalités sur leurs appareils existants.

Par exemple, Huawei a rencontré des difficultés similaires après avoir perdu l’accès à GMS. Malgré le développement de HarmonyOS et la mise en place de son propre écosystème compatible avec l’API, Huawei a eu du mal à s’imposer auprès des développeurs et des consommateurs. Vendre Android ou Chrome OS pourrait provoquer des difficultés comparables.

4. Android et ChromeOS pourraient-ils être régis par une fondation open-source ?

Une question importante à laquelle sont confrontés les régulateurs est celle de la domination de Google sur les systèmes d’exploitation et la distribution d’applications. L’une des solutions proposées consiste à transférer Android et ChromeOS vers une fondation open source, tout en séparant Google Play Services et le Play Store en tant qu’entités distinctes. Alors, pourquoi ne pas simplement vendre ces plateformes à un autre géant de la technologie ?

La vente d’Android et de ChromeOS à des concurrents comme Microsoft, Samsung ou Amazon peut sembler la voie la plus facile. Toutefois, cette approche risque de remplacer un écosystème monopolistique par un autre. L’acheteur pourrait utiliser les plateformes pour consolider ses propres écosystèmes. Ce qui renforcerait encore les obstacles auxquels se heurtent les petits acteurs.

En revanche, la gouvernance par une fondation neutre démocratiserait Android et Chrome OS, les transformant en biens publics. Ce modèle permettrait à de multiples parties prenantes, dont les fabricants, les développeurs et les régulateurs, d’orienter leur avenir en collaboration. Une structure de gouvernance partagée pourrait garantir qu’aucune entreprise n’acquiert un contrôle disproportionné. Ce qui favoriserait l’innovation et la concurrence.

Des précédents historiques illustrent à la fois les défis et les opportunités de cette approche. La Symbian Foundation, créée en 2008 pour gérer le système d’exploitation mobile alors dominant, s’est effondrée en raison de la fragmentation et des conflits entre Nokia et Sony Ericsson. La plateforme de cloud open-source OpenStack constitue un exemple plus probant. OpenStack a évité le verrouillage des fournisseurs en réunissant des contributeurs majeurs comme IBM, Red Hat et HPE sous un modèle de gouvernance neutre.

5. Les défis de la dissociation de Google Play Services et du Play Store

Pour Android et ChromeOS, la transition vers une gouvernance open-source nécessiterait un investissement substantiel pour reproduire la surveillance centralisée de Google. Les développeurs s’appuient sur Google Play Services pour les API essentielles qui permettent des fonctionnalités telles que les notifications push, les paiements et la géolocalisation. L’intégration de ces services dans une entité appartenant à un consortium permettrait de maintenir cette infrastructure essentielle tout en permettant aux plateformes open-source d’évoluer de manière indépendante.

Le défi consiste à éviter la fragmentation. Sans le contrôle étroit de Google, les fabricants pourraient donner la priorité à des personnalisations incompatibles. Ce qui éroderait la confiance des utilisateurs. Des mécanismes de conformité stricts et un modèle de gouvernance solide seraient nécessaires pour atténuer ces risques.

Malgré ces obstacles, une entité de services partagés pourrait démocratiser l’accès aux capacités de Google Play tout en favorisant la concurrence et l’innovation. Cette approche permettrait d’équilibrer les avantages de la gouvernance des logiciels libres et la nécessité d’une infrastructure robuste et génératrice de revenus.

6. Le secteur de l’IdO pourrait souffrir de la fragmentation

L’internet des objets est l’un des domaines technologiques les plus fragmentés. La plateforme unifiée de Google pourrait simplifier le développement et améliorer la compatibilité entre les appareils, ce qui rendrait les produits domestiques connectés tels que les thermostats, les caméras et les haut-parleurs plus fiables et plus conviviaux.

Toutefois, si les régulateurs exigent des entreprises qu’elles cèdent leurs activités, les fabricants de produits IdO pourraient être confrontés à des difficultés considérables. Imaginez, par exemple, que vous achetiez un thermostat connecté pour découvrir trois ans plus tard qu’il ne fonctionne plus parce que la plateforme sur laquelle il reposait a été démantelée. Les appareils non pris en charge pourraient rapidement devenir des déchets électroniques.

En l’absence d’une gouvernance coordonnée et d’un support à long terme, la cession pourrait transformer la fragmentation actuelle de l’IdO en une véritable crise.

7. Le contexte historique montre les enjeux – et les défis

Le procès intenté par le ministère de la justice contre Google ressemble à l’importante bataille antitrust qu’il a menée contre Microsoft à la fin des années 1990. À l’époque, Microsoft était critiqué pour avoir intégré Internet Explorer à son système d’exploitation Windows. Une pratique considérée comme un frein à la concurrence. Les régulateurs ont demandé à Microsoft de dégrouper le navigateur et de proposer des options aux utilisateurs afin de rétablir l’équité sur le marché des navigateurs.

Ironiquement, malgré ces efforts réglementaires, Internet Explorer a fini par être supprimé et remplacé par Microsoft Edge, qui utilise le moteur Chromium, la technologie open-source sur laquelle repose aujourd’hui la domination de Google dans le domaine de la navigation sur le web. Cette situation met en évidence les conséquences involontaires des mesures antitrust.

La situation de Google est beaucoup plus complexe. Contrairement à Internet Explorer, qui pouvait fonctionner indépendamment de Windows, Chrome OS et Android sont profondément intégrés dans l’écosystème plus large de Google. La séparation de ces plateformes entraînerait probablement d’importantes perturbations techniques et commerciales, déstabilisant les industries qui dépendent des API, des magasins d’applications et de l’infrastructure de cloud de Google.



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