EnquêteL’enquête « Uber Files » révèle que le groupe américain a sciemment joué avec les limites de la loi et cherché à utiliser la violence à son profit pour s’imposer par le fait accompli dans les métropoles du monde entier.
Il ne suffit pas d’interdire Uber pour arrêter Uber. Encore faut-il faire appliquer et respecter la loi. Telle est la morale de l’enquête internationale « Uber Files », qui révèle les coulisses de la plate-forme américaine de transport par chauffeurs privés. Les milliers de documents obtenus par le Guardian et partagés avec les membres du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde, jettent une lumière crue sur la brutalité des méthodes employées par l’entreprise pour s’implanter un peu partout dans le monde. Dans leur volonté de briser le monopole des taxis, les dirigeants et salariés d’Uber ont sciemment violé la loi et semé le désordre dans de nombreux pays, en espérant s’imposer par le fait accompli.
« Uber Files », une enquête internationale
« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.
Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.
Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.
Un échange symbolise l’état d’esprit inculqué par le fondateur et PDG, Travis Kalanick, à son entreprise. Vendredi 29 janvier 2016, Uber essuie un sérieux revers en France. Mis sous pression par une semaine de forte mobilisation des taxis, le gouvernement promet de multiplier les contrôles et de réprimer sévèrement les chauffeurs qui contournent la loi. La plate-forme, qui a déjà dû abandonner son service controversé de conducteurs particuliers UberPop dans le pays sept mois plus tôt, est en train de s’enliser dans sa guérilla juridico-réglementaire.
Mais Travis Kalanick appelle à la riposte dans un échange de SMS internes : « Désobéissance civile. 15 000 chauffeurs. 50 000 passagers. Une marche pacifique ou un sit-in. » A un lobbyiste qui l’alerte sur la présence de casseurs d’extrême droite au sein des cortèges des taxis les jours précédents, le dirigeant rétorque : « Si nous avons 50 000 passagers, ils ne pourront rien faire. Je pense que le jeu en vaut la chandelle. La violence garantit le succès. »
Les dirigeants naviguent en permanence dans une zone grise de l’emploi, où travaillent des chauffeurs ni salariés ni tout à fait indépendants
Respecter la loi ne semble être qu’une option parmi d’autres dans la philosophie d’Uber. « Parfois, nous avons des problèmes parce que nous sommes foutrement illégaux », constate ainsi une communicante dans des échanges internes. Une présentation à destination des cadres de la plate-forme en Europe datée du 11 décembre 2014 dresse ainsi l’inventaire de ses déboires judiciaires, qualifié de « pyramide de merde ». On y trouve, entre autres, plusieurs centaines de procédures visant des chauffeurs et plus d’une vingtaine de contentieux ciblant la société elle-même, dont deux relevant du pénal.
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