face au lobbying, des garde-fous insuffisants en France

révélations sur le « deal » secret entre Uber et Emmanuel Macron à Bercy


« Les fonctions d’Emmanuel Macron l’ont naturellement amené à échanger avec de nombreuses entreprises. » L’Elysée n’a pas souhaité répondre dans le détail aux révélations des « Uber Files », notamment sur la proximité entre les lobbyistes d’Uber et le président, du temps où il était ministre de l’économie. Mais son commentaire reprend un argument récurrent parmi les nombreux responsables politiques interrogés par Le Monde sur ce dossier : il n’y aurait rien d’anormal à rencontrer des dirigeants d’entreprise ou des lobbyistes dans le cadre des dossiers dont ils ont la charge.

En réalité, le débat soulevé par cette enquête ne porte pas tant sur l’existence d’échanges entre responsables politiques et entreprises privées que sur l’opacité quasi totale dont ils sont recouverts. « La transparence du lobbying est un vrai enjeu en termes de traçabilité du débat public, estime Jean-François Kerléo, juriste et membre de l’Observatoire de l’éthique publique. Les citoyens doivent pouvoir comprendre comment se crée la loi, quels sont les enjeux et les rapports de force à l’intérieur du pouvoir. »

« Uber Files », une enquête internationale

« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.

Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.

Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.

Retrouvez tous nos articles de l’enquête « Uber Files »

De ce point de vue, les « Uber Files » donnent le vertige. De l’extérieur du gouvernement, personne en France ne pouvait imaginer qu’Emmanuel Macron et ses équipes avaient entretenu une relation aussi étroite avec Uber, avec au moins une quarantaine d’échanges entre 2014 et 2016. C’est bien plus, par exemple, que le ministère des transports, qui avait en théorie la tutelle du secteur des véhicules de transport avec chauffeur (VTC).

« Rendre les choses transparentes »

Plutôt que d’interdire ces contacts, « il faut faire en sorte que les choses soient transparentes », estime Sophie de Cacqueray, maîtresse de conférences en droit publique à Aix-Marseille Université. Dans certains pays, comme aux Etats-Unis, les responsables publics sont tenus de déclarer leurs rencontres avec des représentants d’intérêts. Pas en France, où les ministres et parlementaires n’ont aucune contrainte de la sorte.

Des progrès ont tout de même été accomplis ces dernières années, avec la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui contrôle depuis 2014 les éventuels conflits d’intérêts des parlementaires et des ministres. La loi Sapin 2, votée fin 2016, a également institué un registre des représentants d’intérêts, dans lequel les lobbyistes doivent obligatoirement déclarer leurs clients et leurs activités.

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Les failles de la loi restent cependant nombreuses. Le contenu des déclarations des lobbyistes est lacunaire et imprécis : ils notent dans le registre leurs contacts avec « un ministre », « un député », sans avoir à donner de noms ou de dates. Les rendez-vous des représentants d’Uber avec le ministre de l’économie Emmanuel Macron n’y seraient donc pas consignés. « On a le mérite d’avoir un outil, mais cela mérite une nouvelle phase », estime Jean-François Kerléo.

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