C’est Noël (enfin, presque)! Après un looooong accouchement, il est né le nouveau gouvernement de notre quatrième Premier ministre de l’année. François Bayrou ayant comme on sait une longue carrière derrière lui, il a plusieurs fois abordé le numérique, comme déjà mentionné dans ZDNet. Plus directement sur les thématiques de ce blog, des libristes ont évoqué ces jours-ci un Bayrou qui, selon certains, était bien au fait autrefois de ce que représentent les logiciels libres.
« Très intéressé par l’univers du logiciel libre »
Il est venu au salon Solutions Linux (à peu près l’équivalent d’Open Source Experience maintenant), était au fait de la loi Dadvsi,
et on peut lire les échanges dans Twitter / X sous le message de Bluetouff précité. (J’avoue un faible pour l’internaute qui écrit «J’ai voté pour lui en 2007 parce qu’il avait un bouquin sur Linux dans sa bibliothèque pendant une interview»).
Également citée dans ces messages, la venue de Bayrou en 2006 aux RMLL (Rencontres mondiales du logiciel libre) où il a participé à une table ronde au côté entre autres de Michel Rocard (dont la compétence dans le numérique est attestée, voir son rôle essentiel contre les brevets logiciels).
Mieux, en 2009, sur France Info, le fondateur du Modem défendait Wikipédia (à l’époque, ce n’était pas si fréquent) contre les assertions de deux journalistes: «Il y a là une encyclopédie, free, libre d’accès, à disposition de tout le monde, qui a été développée par des esprits généreux qui ont simplement voulu faire partager à d’autres ce qu’ils savaient. Vous ne trouvez pas que c’est intéressant? Vous ne trouvez pas que c’est intéressant qu’on ait des logiciels, des systèmes d’exploitation qui soient constamment enrichis bénévolement ou gratuitement.»
Auparavant, dans la même émission: «Je suis très intéressé par l’univers du logiciel libre. (…) Pourquoi suis-je intéressé par l’univers du logiciel libre? Pourquoi suis-je intéressé par l’univers wiki? Parce que ce sont des modèles de société non-marchands. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens qui, à partir de logiciels libres, ne font pas du marchand, ne créent pas des activités économiques.»
Volte-face sur le vote électronique
Alors, le locataire en bail précaire de Matignon se révélera-t-il un continuateur de son prédécesseur de 2012 Jean-Marc Ayrault dans une circulaire fameuse titrée «Usage du logiciel libre dans l’administration»? C’est d’autant plus improbable (outre évidemment qu’il a une montagne de dossiers prioritaires et sans doute peu de temps) que sur d’autre points, François Bayrou a changé à 180° de position: il y a le non-cumul des mandats, et en matière numérique, le vote électronique.
À l’élection présidentielle de 2007, la plupart des candidats (huit sur douze) s’étaient exprimés contre le vote électronique. Trois n’ont pas pris position, et un seul l’a soutenu, logiquement: Nicolas Sarkozy, ex-ministre de l’Intérieur, a mené son extension (le même est maintenant à la pointe de la geekitude puisqu’il sera équipé d’un bracelet électronique pendant un an, mais c’est un autre sujet).
Parmi ces candidats critiques, François Bayrou, indirectement. Quitterie Delmas (ou Quitterie de Villepin), sa directrice de la campagne numérique, déclarait alors:
«En ce qui concerne le vote électronique, je suis absolument contre. J’ai appris avec stupeur sur Agoravox que plusieurs centaines de millers de citoyens allaient voter aux élections présidentielles via des machines. Je ne peux pas croire que toutes ces décisions aient été prises dans le plus grand silence.
Aucune des raisons évoquées (gagner du temps de dépouillement, accessibilité pour les handicapés, faire des économies) ne justifie pour moi, un tel risque. J’aime la technologie, j’aime de quelle manière internet, par exemple, permet de ressusciter notre débat démocratique et notre passion du débat public. En revanche, je ne supporte pas l’idée d’un système de vote électronique créé par quelqu’un qui est prestataire d’un donneur d’ordre, lui même intéressé par les résultats, sans le regard dans la machine d’assesseurs citoyens comme autour d’une urne.»
Las, voilà qu’en 2020, le maire de Pau, saisi par la modernité, est devenu un fervent supporter du vote électronique (et du pire, le vote via Internet), avec cet argument de poids: «On le fait pour les associations de pêcheurs à la ligne, les organisations syndicales, la totalité des consultations pour désigner des représentants notamment chez les enseignants.» Qu’il y ait une légère différence d’enjeu entre des pêcheurs à la ligne et les représentants de la Nation semble avoir échappé en treize ans au patron du Modem. Des députés de son parti ont alors déposé une proposition de loi.
Les inconvénients dénoncés depuis des années n’ayant pas miraculeusement disparu en 2020, on reste songeur devant cette volte-face. Soyons positifs cette fois: comme pour le logiciel libre, l’occupant de Matignon devrait avoir bien trop à faire – et zéro majorité – pour concrétiser cette brillante idée – qui fut aussi vantée par Emmanuel Macron en 2017.
(Illustration: mcanet / Flickr / CC by-sa)
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