L’un des pires scandales qu’ait connu Wall Street s’est produit le 7 mai 2012. Plus grave qu’une affaire de banqueroute ou de délit d’initié, l’irruption dans le temple de la finance du hoodie de Mark Zuckerberg. Pensez ! Un jeunot qui débarque en tee-shirt, baskets et sweat à capuche afin de promouvoir l’introduction en Bourse de Facebook pour une valeur record de 100 milliards de dollars.
L’analyste financier Michael Pachter monte sur ses grands chevaux. Il dénonce « le manque de maturité » de ce freluquet qui devrait plutôt « montrer aux investisseurs le respect qu’ils méritent, parce qu’il leur demande leur argent ». Ce que n’ont pas compris ces messieurs en costume trois-pièces et cravate de soie – qui, dix ans plus tard s’indigneront aussi de voir le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’exprimer en tee-shirt kaki devant le Congrès – c’est que le port de ce hoodie, dérivé de « hood » (« capuche »), n’a rien d’une simple posture.
Il annonce une réalité avec laquelle ils vont devoir composer. En adoptant ce dress code aux antipodes du traditionnel vestiaire des patrons et des financiers, celui qui est déjà milliardaire marque l’émergence de la nouvelle économie et des bouleversements économiques induits par la numérisation galopante de la société. C’est un clin d’œil appuyé à la génération des réseaux sociaux dont l’influence va devenir prépondérante.
Esthétique de la normalité
Mark Zuckerberg sait que les nouvelles stars de la Silicon Valley doivent être immédiatement identifiables, alors il fait simple et efficace. Point de pull noir à col roulé comme Steve Jobs mais un hoodie. Introduit dans les années 1930 pour protéger les ouvriers sur les chantiers de la Côte est, le sweat à capuche a ensuite été adopté par les étudiants férus de sport avant de devenir l’uniforme de la contre-culture de la Côte ouest, celle des rappeurs, des surfeurs, des skateurs mais aussi des geeks.
On peut être fringué comme un lycéen et gérer une entreprise qui brasse des milliards. « Je veux simplifier ma vie afin d’avoir le moins de décisions à prendre en dehors de mon service à la communauté », explique en toute immodestie Mark Zuckerberg lorsqu’on l’interroge sur ses non-choix vestimentaires. La mode parle de style « normcore », une esthétique de la normalité qui marque l’appartenance à un groupe social jeune, versé dans l’innovation, de préférence disruptive.
L’aura de la « culture tech » qui nimbe le hoodie a aussi ses limites. Elle n’exonère pas le patron de Facebook des griefs grandissants adressés aux réseaux sociaux, leur fonctionnement opaque, leurs intrusions par datas interposées dans la vie privée ou leur responsabilité face aux dérives extrémistes et aux complotismes de tout poil. C’est peut-être pour cela que Mark Zuckerberg, régulièrement convoqué devant les commissions d’enquête ou les institutions qui tentent de réguler les réseaux sociaux, adopte désormais le costume-cravate plus souvent que le hoodie lors de ses apparitions publiques.
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