Le juge Mellor, de la Haute Cour de Londres, n’a pas pour habitude de rendre ses décisions sitôt les audiences terminées. D’ordinaire, il est plutôt du genre à prendre le temps de la réflexion. Mais ce 14 mars, il semble pressé d’en finir. Il faut dire que le prévenu qu’il a devant lui, un ingénieur australien, Craig Wright, a menti à la cour pendant six semaines, et a produit de faux documents. Aux yeux du magistrat, pas de doute : cet homme de 53 ans ne peut prétendre être l’inventeur du bitcoin, connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto.
La Cryptocurrency Open Patent Alliance (COPA), une association de professionnels des cryptomonnaies, a donc eu raison de voir en lui un imposteur et d’engager des poursuites contre lui. « Les preuves sont accablantes, estime le juge. Craig Wright n’est pas la personne qui a opéré sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Wright n’est pas la personne qui a créé le bitcoin. »
Dans la foulée, la COPA s’empresse de saluer une « victoire définitive de la vérité ». La « vérité » ? Pas tout à fait quand même… Car, si le nom de Wright est rayé de l’histoire, la véritable identité de Satoshi Nakamoto, elle, demeure inconnue, au point de constituer l’un des plus grands mystères de l’ère Internet : qui est-il, cet inventeur du bitcoin ? Voici treize ans qu’il ne donne plus signe de vie ; treize ans que l’énigme donne lieu à d’innombrables théories, que les passionnés de « crypto » – tout un petit monde d’initiés – traquent les moindres indices pour tenter de percer son secret.
« Je serais tellement content, enjoué, excité, de savoir qui c’est ! J’ai une vénération pour Nakamoto », s’enthousiasme ainsi Manuel Proquin, un féru de blockchain, la technologie à la base de bitcoin. Ce soir de printemps, dans un bar du centre-ville de Nantes, cet ingénieur de formation a rejoint une vingtaine d’autres amateurs de crypto, réunis par Blockchain et Société, une association dont le but est de rassembler les acteurs locaux du secteur et de faire découvrir leur univers au public. Même si l’identification de « Satoshi », comme ils l’appellent entre eux, n’est pas leur principale préoccupation, tous admirent cette figure tutélaire, qui a su dépasser les obstacles techniques à la création d’une monnaie numérique, en 2009. Manuel Proquin loue ses « prouesses intellectuelles », sa « vision du monde, qui protège l’humanité dans ses droits fondamentaux » et, surtout, sa « capacité à disparaître, dans une société en perpétuelle recherche de gloire ».
Dans ce bar nantais, comme partout ailleurs chez les mordus de crypto, chacun a son hypothèse sur le mythe Satoshi. « J’aimerais que ce soit en fait un groupe de femmes, avance Manuel Proquin, ce serait un doigt d’honneur à nos préjugés. »
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