En août 2022, Jason Allen remporte le premier prix d’art numérique à la foire de l’Etat du Colorado avec une image créée avec Midjourney, programme de génération d’images par intelligence artificielle (IA), déclenchant ainsi un débat passionné dans le monde de l’art. Dans le monde du droit et de la propriété intellectuelle, la discussion est en revanche moins vive : la plupart des experts interrogés par Le Monde s’accordent en effet sur la case dans laquelle ranger ce type d’œuvre.
Pour Jean-Marc Deltorn, responsable scientifique du diplôme universitaire Intelligence artificielle et propriété intellectuelle au Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle à l’université de Strasbourg, cette image est même un cas d’école d’usage créatif d’une IA, au sens juridique du terme. L’artiste a passé plus de quatre-vingts heures à peaufiner une consigne – une suite de mots – transmise à l’intelligence artificielle, comme il l’explique dans l’émission « Le Dessous des images ». Puis il a lancé la génération de six cents images différentes, pour finalement retenir les trois meilleures, avant de mélanger leurs éléments sous Photoshop.
La question de la créativité
Devant un tribunal, américain comme européen, le critère de la créativité est la clé qui permet aux artistes d’obtenir la confirmation qu’ils jouissent bien de droits d’auteur sur une œuvre. Selon les quatre experts interrogés, cela serait certainement le cas de l’œuvre de Jason Allen. A condition, précise Daniel Gervais, professeur à l’université Vanderbilt, à Nashville (Tennessee) et spécialiste des droits de la propriété intellectuelle des intelligences artificielles, que « l’artiste » puisse prouver « que la consigne donnée à l’IA est originale et qu’on en retrouve la trace dans l’image finale ».
La première décision juridique sur ce sujet, rendue par l’Uspto, le bureau du copyright américain, est pourtant ambivalente. En septembre 2022, l’institution a d’abord accepté d’enregistrer une bande dessinée créée par Kris Kashtanova avec l’assistance de Midjourney, avant, en novembre, d’expliquer au créateur que l’enregistrement était en cours de révision. Selon les experts interrogés par Le Monde, même si l’Uspto rendait une décision négative, celle-ci serait peu contraignante pour les tribunaux, qui conserveraient la liberté d’attribuer des droits d’auteur à des créations assistées par IA.
Des errements qui rappellent ceux qu’a connus la photographie au XIXe siècle, alors accueillie fraîchement par le milieu artistique – et juridique. Jean-Michel Bruguière, avocat spécialiste du droit des technologies nouvelles, professeur à l’université de Grenoble et directeur du Centre universitaire d’enseignement et de recherche en propriété Intellectuelle, le rappelle :
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