En matière d’Internet chinois, à chacun ses obsessions. En ce moment, à Washington, on rêve d’abattre TikTok ou, du moins, de l’arracher aux griffes de Pékin en le faisant racheter par des investisseurs américains. A Paris, les députés apprennent à prononcer le mot « fast fashion », sans savoir ce qu’il recouvre réellement, mais avec comme cible désignée l’ovni Temu, ce site de commerce chinois au succès fulgurant ou son concurrent Shein, plus orienté sur la mode. Comme d’habitude, une loi et des taxes supplémentaires à l’efficacité douteuse devraient sortir de la discussion.
A Washington et à Paris, on constatera peut-être avec satisfaction qu’à l’autre bout du monde, en Corée du Sud, on partage la même inquiétude sur le raz de marée de l’Internet chinois. Le ministre de l’économie et des finances, Choi Sang-mok, y a présenté, mercredi 13 mars, un train de mesures visant à mieux encadrer les pratiques de ces acteurs.
Les grandes plates-formes devront avoir des représentations physiques dans le pays, alors que Temu et Shein, en dépit de leur succès foudroyant, ne sont pas présents, et les contrôles seront renforcés pour éviter les problèmes de qualité et de contrefaçon qui se développent à grande vitesse.
Rupture totale
Ces mesures, à l’instar de ce qui se passe en Amérique ou en Europe, sont supposées protéger le consommateur, même contre son gré, comme en France, mais cachent aussi une inquiétude plus prosaïque. En seulement deux ans, raconte le quotidien Korea Economic Daily, les grandes plates-formes chinoises ont déstabilisé les acteurs coréens du commerce électronique pourtant très puissants, comme Coupang ou Naver. Quant aux américains, Amazon en tête, ils ont vu leur part de marché réduite à 27 % contre 48 % pour les chinois.
Ce phénomène planétaire pose des questions économiques, sociétales et politiques. Le modèle de Temu, par exemple, que l’on peine à cerner, repose sur très peu d’effectifs et d’actifs physiques. Son activité est informatique et marketing. Les producteurs présents sur sa plate-forme se chargent du reste : fabriquer, stocker, expédier… Une rupture totale avec le modèle Amazon ou même Alibaba.
Le sujet sociétal est celui de l’addiction aux prix bas. Avec des interrogations environnementales, voire morales, qui se développent en Occident sur les effets néfastes de la surconsommation. Enfin, la politique est omniprésente. Au moment où l’Amérique tente de se découpler de la Chine et d’entraîner ses alliés dans ce mouvement, le surprenant succès des stars chinoises du Net vient déstabiliser la rhétorique anti-Pékin et réveiller les réflexes protectionnistes.