Abandonware France – S25E04 – Viva España!

Abandonware France - S25E04 - Viva España!


Comme annoncé le jour de la rentrée dernière, le jeu du mois peut aussi bien être un Hit incontournable qu’une pépite méconnue ou oubliée que l’équipe a choisi de vous faire découvrir. Et ce sera à vous de nous dire ce que vous en pensez.

Le mois d’octobre est synonyme de fête nationale espagnole, et pour que notre jeu soit de connivence avec cet événement nous avons choisi un OVNI qui a été développé en Uruguay, dans sa capitale Montevideo, et que les Espagnols de Dinamic Software, par l’entremise de Snatcho alias Ignacio Ruiz Tejedor, ont fait connaître en Espagne puis dans toute l’Europe Occidentale.

Tenez-vous bien, il s’agit vraisemblablement du tout premier jeu sud-américain exporté à l’international, tout bonnement. Voici l’histoire de ce titre pas comme les autres.

Mais d’abord, voici l’histoire d’Iron Byte :

Iron Byte a non seulement donné une impulsion à l’industrie du jeu vidéo en Uruguay, mais a sans doute initié cette activité dans toute l’Amérique Latine.
En 1984, le parc informatique dans ce pays est dérisoire, et c’est le ZX Spectrum qui semble avoir la préférence des consommateurs.

Iron Byte a été créé par une poignée de copains férus d’informatique, habitués à bidouiller pour compenser les carences du marché et les licences coûteuses : L’idée de l’entreprise était de fabriquer du matériel adaptable au ZX, ce que l’on appelle les hardwares.
Parmi toutes les créations de l’équipe conduite par Roberto Eimer ou Carlos Galucci, on trouve le système du Hilow Computer, qui permet de déverser le contenu des informations du ZX sur une bande de cassette afin de conserver les données. Une sorte d’ancêtre du disque dur externe en quelque sorte. Ou une disquette lisible sur bande magnétique avec les fonctions de lecture, pause…

La notoriété de la société est grande et dépasse la capitale, mais une récession survient et brise l’engouement des Uruguayens pour l’informatique.
L’équipe d’Iron Byte cherche à survivre et accepte toute demande de ses clients en matière de hardware. Toute, vraiment ? Un laboratoire médical du pays, Glaxo, leur a demandé de créer un programme informatique qui permettrait de devancer ses concurrents présents à un marché médical.

Et Iron Byte a imaginé un clone de Space Invaders, avec une seringue pixelisée qui détruisait les bactéries. Et voilà comment les bricoleurs de génie se déportent vers le jeu vidéo, une relance de l’activité semble s’amorcer, et nous sommes en 1988.

L’équipe se recentre autour de six personnes, et se lance dans la conquête d’un marché qu’il faut inventer ! Une idée folle dans ce pays où tout est encore artisanal, où la mondialisation s’affiche derrière des pubs occidentales mais pas au travers des conditions de vie des habitants.
A la fin des années 80, l’Amérique Latine est bien loin de la révolution informatique : les PC qui équipent les entreprises ou les foyers sont des succédanés de l’Amiga, fabriqués au Brésil, et les jeux qui circulent sont quasi toujours des produits piratés.

Selon Juan Gaspar, directeur commercial de la société Iron Byte, « …A cette époque, il y avait environ 200 Amiga dans tout l’Uruguay et il s’en trouvait déjà 3 au siège de notre compagnie ! »

Le tout premier jeu de l’histoire de l’Uruguay est donc inventé et développé : Katia : une ninja qui doit traverser le port de Montevideo en le délivrant de malfrats en tout genre. Un Altered Beast à la sauce pimentée.
Le jeu est un succès. L’équipe d’Iron Byte imagine le lancer en Europe : il faut trouver un éditeur et un distributeur en Espagne, car avant de localiser le jeu en anglais, il faudra lui trouver un public dans la langue latine.
Snatcho, le découvreur de talents de Dinamic Software, est emballé par le gameplay et le foisonnement d’idées de cette équipe de jeunes. Mais il faut repenser le jeu et lui donner un héros masculin : le jeu sera refait et prendra le nom de Freddy Hardest in South Manhattan, qui est la suite d’un premier opus qu’avait développé Dinamic Software l’année précédente. Freddy Hardest, c’est un personnage avec autant d’extravagance que d’absurdité : un millionnaire qui passe son temps de fête en fête, dépensant un énorme héritage et voyageant dans l’espace dans un vaisseau spatial sous l’influence de l’alcool. Le fait de transposer l’action de Montevideo à Manhattan permet aussi de recentrer le jeu sur une clientèle occidentale et de donner une véritable suite au premier Freddy Hardest.
Iron Byte a réussi à faire un jeu à succès, et a sans doute donné des idées à de multiples beat’em all des années 90.

Ce contrat appelle un vrai challenge : créer un jeu vidéo directement distribué en Europe par Dinamic Software.

Développé sur tous les supports existant à l’époque, du MSX à l’Amiga, le jeu est une dystopie qui installe le joueur à la tête d’une escouade de 15 super flics déterminés à débarrasser le monde d’un cartel infernal de trafiquants de drogue : Narco Police est le plus gros succès de ce studio, qui se voit déjà enchaîner avec une suite, annoncée en 1991.

Mais une récession contraint Dinamic à revoir ses investissements à la baisse : non seulement il n’y aura pas de suite à Narco Police, mais les autres jeux de la société s’étant moins bien vendus, il n’y aura plus de contrat avec le studio de Montevideo. Iron Byte ne survit pas à cette fin de contrat. En 1992, la société disparaît sans faire de bruit.
Seul Juan Arias est revenu vers le jeu vidéo, avec la compagnie californienne de Neversoft avec laquelle il a collaboré sur la série Guitar Hero à la fin des années 2000. Quant à Fernando Veira, le dessinateur du studio, il s’est tourné vers l’animation 2D et 3D pour des spots publicitaires, et des story-boards de toute nature, loin du jeu vidéo mais toujours créatif.

Mais revenons-en à la création de Narco Police :

Ce jeu que vous allez (re)découvrir a été adapté sur sept supports, c’est-à-dire tous les supports de l’époque sur micro, l’Amiga, le Commodore 64, le Spectrum, l’Atari, le MSX, l’Amstrad et bien sûr le PC.

Pour ne pas payer les licences en vigueur, l’équipe de bricolos a donc créé son propre boot reconnu universellement, et a dû s’adapter à chaque palette graphique des systèmes. Une sorte de jeu de pirates professionnels !

Pour limiter les contraintes et parvenir à créer un jeu immersif avec profondeur et perspective, les graphistes ont adapté des mosaïques qu’ils ont reproduites pour ne pas se perdre dans des décors qui allaient apparaître plats et ainsi créer une illusion d’optique : de même pour les mouvements des personnages, qui reprennent quatre frames mais qui donnent une impression de vitesse que les jeux PC n’avaient pas encore atteint à l’époque : le jeu est incontestablement réussi du point de vue graphique.

Le tout avec 15 couleurs (la seizième étant gardée pour les effets de transparence). Un processeur de 7 mhz fait un tel travail, et nous ne sommes qu’au début des années 90 !
A l’époque il fallait, pour un studio comme Ubi Soft ou Ocean, une équipe de 10 à 12 personnes pour développer un jeu aussi exigeant sur un support. Ici, ce sont six personnes pour sept versions, un autre vrai prodige.

Enfin, il faut rappeler que, en 1990, Internet n’existait pas et que le téléphone coûtait très cher : chaque appel entre Montevideo et Madrid coûtait entre 100 et 200 dollars : le budget alloué pour le développement a été englouti pour bonne partie par les appels téléphoniques du studio vers son éditeur et ses distributeurs en Europe.

Alors pour toutes ces raisons, parce que ce jeu est l’acte de naissance de l’industrie vidéoludique de l’Uruguay, nous avons décidé de vous le faire découvrir dans le cadre du Jeu du Mois, avec son manuel et avec la fiche de Iron Byte.

Bonne découverte et bon mois d’octobre, on se donne rendez-vous en milieu de semaine prochaine pour la news culture de notre ami Stamparade.



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