Un dimanche de juin 1949, deux scientifiques britanniques, Max Newman et Alan Turing, rêvent tout haut dans le jardin d’une petite maison de la banlieue de Manchester (Royaume-Uni). « Elle saura jouer aux échecs à l’automne ! », prédit le premier. Mais alors « nous ne serons plus en mesure de comprendre comment elle fait (…), nous aurons perdu le fil », se demande le second. Présente à leur côté, la journaliste Lyn Newman, épouse de Max, sait qu’ils ne parlent pas d’une fillette passionnée par les échecs, mais d’une machine, baptisée « Baby », l’un des tout premiers ordinateurs de l’histoire. Les deux hommes travaillent à sa mise au point. Plus ils approchent du but, plus Lyn Newman s’inquiète, comme le relate Jonathan Swinton, auteur d’Alan Turing’s Manchester (Infang, 2019, non traduit). Les deux chercheurs seraient-ils sur le point d’inventer une machine qui pense ?
A l’époque, Max Newman dirige le laboratoire d’informatique de l’université de Manchester. Alan Turing, son adjoint, est un mathématicien de génie considéré de nos jours par la communauté scientifique comme le principal contributeur à l’idée d’intelligence artificielle (IA). Son destin, longtemps resté méconnu, renvoie aussi à un épisode tragique : Alan Turing s’est suicidé en 1954, deux ans après sa condamnation pour homosexualité – sous les qualificatifs d’« indécence » et d’« outrage à la pudeur » – au Royaume-Uni.
Il a fallu attendre les années 1970 et la déclassification de documents portant sur son travail auprès des services de renseignement britanniques durant la seconde guerre mondiale pour prendre la mesure du personnage. Les historiens lui reconnaissent aujourd’hui un rôle décisif dans le décryptage des messages codés nazis, notamment ceux que s’échangeait la Kriegsmarine durant la bataille de l’Atlantique. En 2013, il fut gracié à titre posthume par la reine Elizabeth II.
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