L’organisation de défense des droits humains Amnesty International va déposer ce 27 octobre aux Nations Unies une pétition, signée par 100 000 personnes, demandant à l’organisation internationale de faire cesser « la vente, [le] transfert et l’utilisation de logiciels espions », afin de « mettre fin à la surveillance, illégale et endémique, des militants politiques, des journalistes, des avocats et des responsables politiques » dans de très nombreux pays.
Amnesty International et les signataires du texte demandent une interdiction, immédiate mais temporaire, de ces technologies, dans l’attente de la mise en place « d’un cadre législatif qui protège les droits de l’homme », alors qu’une résolution sur la vie privée à l’ère numérique va être débattue au des Nations Unies.
Les logiciels espions, qui permettent de prendre connaissance des appels et des messages envoyés ou reçus par un téléphone, mais aussi de suivre les déplacements d’une personne, sont au cœur de multiples scandales. Le Monde et ses partenaires du « Projet Pegasus », coordonné par l’organisation française Forbidden Stories, avaient révélé en 2021 l’ampleur de la surveillance électronique pratiquée par plusieurs Etats grâce au logiciel espion Pegasus. Parmi les victimes se trouvaient notamment des militants des droits humains, des avocats, des chefs d’Etat ou de gouvernement, ou encore des journalistes français de Mediapart, du Monde ou du Canard enchaîné.
En Europe, plusieurs pays sont suspectés d’avoir eu recours à Pegasus ou à d’autres logiciels espions hors du cadre légal. Plusieurs dizaines de militants pour l’indépendance de la Catalogne accusent l’Etat espagnol d’avoir infecté leurs téléphones ; en Hongrie comme en Pologne, des opposants politiques figurent également parmi les cibles de Pegasus. En Grèce, les services de renseignement ont eu recours au logiciel Predator pour mettre sur écoute le chef du Parti socialiste et au moins deux journalistes, déclenchant un scandale politique majeur.
« Les logiciels espions constituent une crise mondiale », estime Agnès Callamard, la secrétaire générale d’Amnesty International dans un communiqué. « [Ces logiciels] sont utilisés pour réduire au silence et intimider les militants politiques, les journalistes et les avocats. Les Etats membres des Nations unies doivent cesser d’utiliser, et de tolérer, l’utilisation des logiciels espions comme un outil de répression. »
Enquête parlementaire européenne
Jusqu’à présent, la plupart des grands pays ont montré peu d’empressement à durcir les législations sur ces logiciels – les services de renseignement sont les principaux utilisateurs de ces logiciels espions et souhaitent pouvoir continuer à les acheter. La situation a cependant évolué récemment, notamment aux Etats-Unis, où l’administration Biden a placé l’éditeur de Pegasus, la société israélienne NSO, sur sa liste noire des entreprises avec lesquelles les sociétés américaines n’ont pas le droit de conclure des contrats.
En Europe, la députée européenne néerlandaise Sophia In’t Veld (Renew Europe) doit rendre public ce 8 novembre un rapport contenant les conclusions de la commission d’enquête parlementaire européenne sur les logiciels espions, lancée après les révélations du « Projet Pegasus ». Les militants des droits humains espèrent que cette enquête parlementaire aboutira à un durcissement net de la législation sur ces logiciels en Europe.
Des logiciels espions moins puissants que Pegasus ou Predator, mais tout aussi dangereux pour la vie privée, sont aussi commercialisés – illégalement dans la plupart des pays – par des entreprises privées à destination du grand public. Ces logiciels, principalement achetés pour surveiller conjoints ou enfants, sont régulièrement cités dans des dossiers de violences conjugales.