Le parquet de Paris a annoncé lundi 15 mai l’ouverture d’une enquête visant Apple pour pratiques commerciales trompeuses et obsolescence programmée. Cette procédure fait suite à la plainte déposée par l’association française Halte à l’obsolescence programmée (HOP), en décembre 2022, dénonçant principalement la pratique de la sérialisation.
Le remplacement de certaines pièces détachées d’iPhone dotées d’un numéro de série provoque, en effet, des désagréments pour l’utilisateur, à moins de passer par un réparateur agréé par Apple. Certains éléments ne sont pas concernés, comme la vitre arrière et le haut-parleur des iPhone, mais les deux réparations les plus courantes sont ainsi entravées : l’écran et la batterie.
Lorsqu’on insère une nouvelle batterie dans un iPhone, une alerte s’affiche : « Message important concernant la batterie. Impossible de vérifier si cet iPhone possède une batterie Apple d’origine (…). » Des mots angoissants qui « génèrent de fréquents retours au SAV de la part de clients inquiets », selon Alexandre Isaac, fondateur de The Repair Academy, une entreprise qui forme de nombreux techniciens de réparation. En outre, dans les menus de l’iPhone, les statistiques d’utilisation de la batterie disparaissent, comme les informations sur son état de santé.
Quant à l’écran d’origine d’un iPhone, il perd une fonction-clé lorsqu’on le remplace par un écran générique : sa luminosité et sa teinte ne s’adaptent plus à l’éclairage ambiant. Pire encore, lorsqu’on remplace le capteur Face ID de l’iPhone (pièce permettant d’identifier le visage de son possesseur pour le déverrouiller), cet outil ne fonctionne plus.
Coûteuses réparations
De nombreuses marques attribuent des numéros de série à leurs pièces détachées. Mais, hormis chez Apple, il est extrêmement rare que le changement d’une pièce bride ainsi le fonctionnement d’un téléphone, relève Alexandre Isaac. « La sérialisation est née en 2010 avec l’iPhone 4, retrace-t-il. Et au fil des années, elle s’est accélérée, impliquant de plus en plus de pièces, jusqu’à culminer avec l’iPhone 12 sorti en 2020. » Le nombre de pièces concernées par ces limitations est depuis resté sensiblement le même pour les modèles suivants.
Ce système peut pousser les consommateurs soucieux d’éviter tout problème à confier leurs smartphones cassés directement à Apple ou aux réparateurs agréés par la marque. Ces derniers peuvent, en effet, contourner les restrictions en accédant aux pièces officielles à des tarifs avantageux, puis en les débloquant grâce à l’aide directe du constructeur. Or, leurs services sont généralement coûteux : la réparation d’un écran d’iPhone 14, par exemple, est facturée 340 euros – soit le tiers du prix de l’appareil neuf.
Les indépendants, à l’inverse, se voient appliquer des tarifs prohibitifs pour accéder aux pièces officielles, comme l’a montré une enquête du Monde en octobre 2022. Ce qui est d’autant plus gênant que ceux-ci représentent l’écrasante majorité des réparateurs présents sur le territoire français. Quant aux spécialistes du reconditionnement, « ils ne peuvent même pas réemployer des pièces d’occasion officielles issues des smartphones démontés », regrette Alexandre Isaac. « Eux aussi ont de gros problèmes de retours au SAV. Certains clients demandent qu’on leur change leur mobile après l’apparition d’une alerte. »
Une pratique contraire au principe de la loi antigaspillage
En France, la sérialisation est théoriquement prohibée, selon Alexandre Isaac. Depuis l’entrée en vigueur de la loi antigaspillage, en novembre 2021, le code de la consommation mentionne ainsi que « toute technique, y compris logicielle, par laquelle un metteur sur le marché vise à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil ou à limiter la restauration de l’ensemble des fonctionnalités d’un tel appareil hors de ses circuits agréés est interdite ».
En l’absence de jurisprudence, l’issue de l’enquête du parquet n’est toutefois pas garantie. Pour Laetitia Vasseur, fondatrice de HOP, trois issues sont possibles : « L’enquête pourrait ne déboucher sur rien, donner lieu à une transaction pénale négociée avec la répression des fraudes (DGCCRF), ou déboucher sur un procès. Dans tous les cas, cela peut prendre plusieurs années. »
Le Monde
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Sollicitée par Le Monde, Apple n’a pas souhaité réagir à l’ouverture de l’enquête. Mais en 2019, la marque américaine justifiait la sérialisation des batteries d’iPhone en invoquant « la sécurité » de ses clients et sa volonté de les « protéger des batteries endommagées, de mauvaise qualité, ou usées, qui peuvent générer des problèmes de performances ou de sécurité ». Elle assurait vouloir ainsi « faire en sorte que les remplacements de batterie soient faits correctement ». Un argumentaire alors peu apprécié des réparateurs indépendants.