D’une certaine manière, quand je regarde l’année qui vient de s’écouler, il me paraît assez logique de la conclure avec un coup de gueule.
Mc fast de la data
Hier, sur X, anciennement Twitter, un internaute m’a fait un genre d’offre de service. Ou plutôt m’a enjoint à proposer un service supplémentaire sur Arcadie, en m’offrant obligeamment un fichier Excel. Ledit fichier était un scraping des données de l’Assemblée nationale, combinées avec les données électorales du ministère de l’Intérieur. Donc, le truc qui ne vaut rien pour mon travail. Je gère Arcadie depuis bientôt neuf ans. Si mon boulot était si simple, on serait tous au courant.
L’autre raison de mon énervement était dans la demande de service que je devrais, selon lui, proposer : « une page où il serait possible de fabriquer le fichier CSV ou JSON de sortie en cochant les champs qu’on souhaite voir dans le fichier ». À cette demande, j’ai répondu avec beaucoup d’ironie : « rappelle-moi combien tu donnes par mois à Arcadie ? »
À partir de là, la conversation a franchement dérapé. Pour lui, mon travail est une sorte de mission de service public, qui devrait reposer sur du bénévolat. J’ai été soufflée par tant d’ignorance.
La data : cette donnée monétisable
Je vais vous dire un grand secret : l’export des données en CSV, avec des données sélectionnées, je l’ai en interne pour moi et selon le degré de finesse, ma plateforme m’insulte une fois sur trois. Pour ce type de services, il faut de la ressource. Qui dit ressource, dit serveur et qui dit serveur dit moyens de fonctionner correctement. Mon hébergeur actuel est plutôt bienveillant, pour autant, lui aussi doit payer ses factures.
Quand Arcadie était entièrement derrière un paywall avec abonnement, ce service existait. Il n’intéressait personne. Pourquoi le faire payer ? Comme dit précédemment, il y a une question de ressources, mais c’est surtout un outil de travail pour les cabinets de lobbying, les ministères, les entreprises, etc. Oui, savoir sur quel dossier travaille un député ou un sénateur a une valeur monétaire.
Si certaines données sont parfaitement récupérables ailleurs que chez moi, d’autres ne le sont pas. Certaines compilations sont vraiment le fruit d’un travail quotidien et parfois un peu ingrat. Arcadie fonctionne sur du financement participatif afin de rester accessible au plus grand nombre. Pour autant, je ne vois pas pourquoi je donnerais gratuitement le fruit de mon travail à d’éventuels concurrents.
Goujaterie en ligne
La personne a pleurniché parce que je l’ai envoyé promener assez vertement. Et pour cause. Quand vous allez au restaurant, est-ce que vous faites sortir le patron de son bureau ou le chef de sa cuisine, pour lui dire que mettre au menu, comment disposer les couverts et l’éclairage, devant tout le monde, à qui il doit acheter son poisson ? Des propositions d’aides ponctuelles, j’en reçois assez régulièrement, mais la majorité des gens sont suffisamment bien élevés pour envoyer un email, expliquer leur domaine de compétence et dire sur quel dossier ils pourraient aider. Je les remercie systématiquement et leur explique pourquoi je la refuse.
La raison est très simple : qui dit travail dit rémunération. Je déteste le travail gratuit. On ne paie pas son loyer avec du travail gratuit. On ne remplit pas son frigo avec du travail gratuit. Seule exception à cette règle : la modération de mon salon Discord.
Fondamentalement, ce type n’avait pas envie de m’aider : il avait juste envie d’attirer l’attention sur ces pseudo-compétences. Car, pour passer huit heures à constituer un fichier dont la moitié existait déjà sur le portail open-data de l’Assemblée nationale et l’autre moitié, sur data.gouv.fr, il faut être très débutant. Il n’y a aucun challenge là-dedans, aucune prouesse. Le vrai challenge est d’arriver à obtenir le même niveau d’informations pour le Parlement européen où l’open-data n’est pas entrée dans les mœurs.
Masculinité toxique
Notre Jean-Kévin avait envie de montrer qu’il existait en aidant la pauvre petite demoiselle. Il a surtout fait la démonstration qu’il n’avait pas du tout compris mon cœur de métier. En y repensant, j’y ai aussi vu une forme de masculinité toxique. En effet, ce sont toujours les hommes qui sont venus m’expliquer comment je devais travailler.
Les femmes qui gravitent autour d’Arcadie, quand elles ont des remarques à formuler, le font toujours ou presque en privé. La plupart des hommes le font en public – pas tous heureusement. Je crois être assez grande pour demander moi-même de l’aide si j’en ai besoin, que ce soit en privé ou en public.
Le point le plus amusant est probablement celui-ci : le collectif Regards Citoyens, qui gère notamment nosdeputés. fr a besoin de bénévoles si j’en crois ses deux sites et contrairement à Arcadie, ils ne sont pas du tout dans une logique marchande. Il s’agit d’une initiative associative. Si notre Jean-Kévin avait vraiment voulu aider, il aurait fait une offre de services à Regards Citoyens.
L’art et la manière
Quelle est la morale de cette histoire ? En premier, si vous voulez faire une offre de services à quelqu’un, évitez de le faire en public. Les emails sont mieux que les réseaux sociaux. Renseignez-vous un peu en amont, parce que gonfler les muscles en disant qu’il vous a fallu huit heures pour assembler deux fichiers, ça ne va pas vous attirer le respect. D’autant qu’en matière de data, il y a deux points essentiels : la fraîcheur et la minimisation.
Les données sont comme des légumes : si elles ne sont pas fraîches, elles n’ont aucun intérêt. Compiler des données une seule fois, c’est simple. C’est le maintien sur le temps long qui fait la différence. Certains jours, il y a plus d’une centaine de mises à jour pour les parlementaires sur Arcadie : commissions permanentes, groupes d’études ou d’amitié, collaborateurs parlementaires, rapporteurs de texte, etc. Quant à la minimisation, cela concerne plus spécifiquement les collaborateurs parlementaires : à partir du moment où ils ne sont plus en poste, ils ont le droit de retourner dans un relatif anonymat.
Sur ces bons conseils, je retourne intégrer les nouveaux députés et les nouveaux députés européens, avant de prendre de vraies vacances. Je vous retrouve au mois de septembre.