Au travail, mes échanges numérico-épistolaires par courriel, messagerie ou texto sont de plus en plus en plus souvent assortis de tentatives de contrition : « Désolé pour cette réponse tardive », « Toutes mes excuses pour ce mail différé » (le stade d’après sera sans doute l’autoflagellation sur Zoom). Il y a quelques années, tout le monde jouait encore la comédie de l’immédiateté, ce que traduisait la fameuse formule : « Je te réponds ASAP » – pour as soon as possible, « dès que possible » en français. Bien entendu, cette promesse jargonneuse était potentiellement hypocrite et pouvait donner lieu à une absence de réponse, ou à une réponse extrêmement différée. Mais aujourd’hui, face à la submersion de messages numériques, les digues ont véritablement sauté.
D’après le référentiel 2024 de l’Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique (OICN), un actif reçoit en moyenne 135 e-mails par semaine – quand un dirigeant en reçoit 342 – et passe quatre heures et quinze minutes hebdomadaires à gérer ce courrier professionnel – dix heures et quarante-cinq minutes pour un dirigeant ou une dirigeante.
Pour Malene Rydahl, autrice de l’ouvrage Je te réponds… Moi non plus. L’art de répondre et de comprendre les non-réponses à l’ère digitale (Flammarion, 2020), dans un monde saturé de connexions, « la non-réponse n’est plus une possibilité, elle devient une nécessité ». Presque un réflexe de survie. Réalisé pour ce livre, un sondage nous apprend que 72 % des personnes interrogées déclarent ne pas répondre à certains messages professionnels.
« Travail asynchrone »
Dans ce cas, le silence radio volontaire reste une exception. En général, les non-réponses sont liées à l’oubli, au déficit de temps, à l’excès de sollicitations, mais font immanquablement gamberger celui qui attend, lequel pourra parfois se sentir rejeté ou blessé. Car l’hypercommunication distante est venue perturber les attendus de l’interaction tels qu’ils s’envisagent en face à face. Imaginez que vous demandiez, en arrivant le matin au boulot, à votre collègue Philippe : « Comment tu vas ? » Et qu’il vous réponde quinze jours plus tard : « Super, et toi ? » C’est pourtant cette situation ubuesque que nous vivons tous les jours : la réponse à la bourre est devenue la marque distinctive du capitalisme tardif.
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