Lancée en fin d’année 2021, l’agence Viginum était restée discrète depuis. Une prudence liée notamment aux élections du début d’année 2022, qui imposent un devoir de réserve aux agents publics et qui, dans le cas de la nouvelle agence chargée de lutter contre la désinformation, prend une dimension toute particulière. Mais à l’occasion du FIC 2022 et de la journée consacrée au renseignement en sources ouvertes le nouveau directeur de l’agence Gabriel Ferriol est venu présenter l’activité de Viginum et la façon dont ses équipes entendent appréhender leur mission.
« La première prise de conscience, ce fut les Macronleaks en 2017. Cet épisode nous a permis de comprendre l’impact de ce type de campagnes malveillantes sur un processus électoral » résume le dirigeant. À la veille de la fin du deuxième tour de l’élection présidentielle en 2017, une archive contenant des mails prétendument volés à l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron atterrit sur les réseaux. Si le timing de la publication a limité son effet sur le scrutin, le gouvernement a retenu la leçon. Dans un premier temps, c’est l’Anssi qui est chargée d’enquêter et de tirer cette affaire au clair, mais le sujet est délicat et l’agence de cybersécurité n’est pas la mieux armée pour faire face à cette menace d’un nouveau genre.
La réflexion était pourtant présente bien avant l’épisode du deuxième tour de juin 2017. En janvier de cette même année, le commissaire européen à la sécurité Julian King évoquait déjà sur la scène du FIC le concept « d’attaque hybride », qui désigne des campagnes de déstabilisation mêlant à la fois cyberattaques et manipulation de l’information. Le monde de la cybersécurité a pris bonne note de l’élection américaine de 2016, marquée notamment par le piratage de la primaire démocrate et ayant conduit à l’élection de Donald Trump à la tête du pays.
Caractériser pour mieux lutter
Préfigurée sous la forme d’une « task force temporaire », l’agence Viginum voit finalement le jour en 2021, chargée de combattre « les ingérences numériques d’origine étrangère ». Celle-ci compte aujourd’hui une soixantaine d’agents chargés d’identifier et d’enquêter sur ces campagnes. « C’est une menace évolutive et multiforme, les attaquants peuvent profiter des réseaux sociaux pour aller très vite et permettre de prendre de l’ampleur. »
L’agence souhaite se concentrer principalement sur l’identification et la caractérisation de ce type de campagnes de déstabilisation et distingue quatre critères venant délimiter les contours de ces phénomènes : une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, la création de contenus trompeurs, leur diffusion automatisée ou non et enfin l’implication d’acteurs étrangers dans la diffusion ou la conception de la campagne. « Notre mission, c’est d’observer le débat public et de comprendre le moment où celui-ci paraît inauthentique. Si on voit le signe d’une intervention par un acteur étranger, nous intervenons » explique Gabriel Ferriol.
Pour parvenir à ses fins, l’agence peut compter sur un cadre légal adapté,
détaillé dans un décret paru au mois de décembre 2021 qui les autorise « la
collecte et l’exploitation des contenus publiquement accessibles aux
utilisateurs des plateformes en ligne » dont l’activité sur le territoire
français dépasse un seuil de cinq millions de visiteurs uniques par mois.
Autrement dit, les grands réseaux sociaux sont dans le viseur de l’agence. Si l’agence entend disposer de capacités en propre, Viginum se dote également d’outils et de partenaires issus de la société civile pour
répondre à ses besoins d’analyse de données : les startups françaises Storyzy et Sahar sont ainsi évoquées parmi ses premiers fournisseurs.
En matière d’intervention, Viginum reste pour l’instant prudente. L’agence préfère se positionner sur le créneau de la prévention et de la caractérisation « Nous produisons essentiellement des notes d’analyse, à destination du gouvernement et des ministères, ou lors des périodes d’élection directement à destination des organes de contrôle du scrutin » résume le directeur. D’autres pistes sont pourtant envisagées : sur RFI, le secrétaire d’état au numérique Cédric O avait ainsi laissé entendre que Viginum pourrait transmettre ses signalements à la justice ou à la diplomatie pour engager des initiatives de contre ingérence. Les fameuses notes d’analyse produites par les agents n’ont pour l’instant pas vocation à sortir du seul cercle des grandes administrations et services de renseignements, mais c’est une piste que Viginum ne s’interdit pas à l’avenir.
Se faire connaitre de la communauté
Avec moins d’un an d’existence, l’agence a également son lot de défis à relever. Le recrutement en est un, l’agence est actuellement « environs à la moitié de sa montée en puissance » en matière d’effectif. La formation de ses agents en est un autre. Et peut-être plus épineux, la lourde tâche de se faire accepter de la communauté de chercheurs et d’enquêteurs issus de la société civile qui travaillent déjà sur le sujet de la désinformation.
Sur scène, certains chercheurs ne voient pas forcement d’un bon œil l’arrivée d’une agence gouvernementale qui aurait pour rôle de « centraliser » le travail sur ces phénomènes et de monopoliser la parole en portant une voix officielle qui viendrait éclipser les efforts de la société civile en la matière. Pour l’instant, l’agence peut encore compter sur le bénéfice du doute : « J’ai été un peu dur avec Viginum » estime Alexander Alaphilippe, dirigeant de l’ONG EU Disinfolab, « mais l’agence n’a pour l’instant pas vraiment eu l’occasion d’expliquer ce qu’elle fait. »
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