Avec Elon Musk, les trois menaces majeures qui planent sur Twitter

Avec Elon Musk, les trois menaces majeures qui planent sur Twitter


Les plus pessimistes prévoyaient que le site tomberait en panne dimanche 20 novembre. Or Twitter a tenu bon pour l’ouverture de la Coupe du monde de football, l’un des événements mondiaux qui entraînent à coup sûr un pic de trafic sur les réseaux sociaux.

Mais jusqu’à quand ? Avec des équipes réduites par plusieurs vagues de licenciements, et alors que les décisions de son nouveau PDG, Elon Musk, suscitent l’inquiétude à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise, la firme à l’oiseau bleu va devoir affronter trois problèmes majeurs au cours des prochaines semaines.

Des défis techniques considérables

La première inquiétude concerne la stabilité technique du réseau social, alors que les équipes chargées de la maintenir sont atrophiées. L’arrivée du nouveau patron a été l’occasion pour lui de remercier un peu plus de 3 500 employés, soit la moitié des effectifs de la société. A cela s’ajoutent les 4 400 contractuels externes, chargés de la modération mais aussi de certaines tâches techniques, ainsi qu’une nouvelle vague de départs, à l’ampleur encore difficile à estimer, à la suite du courriel dans lequel le nouveau dirigeant appelait les employés à travailler « durant de longues heures à haute intensité ».

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Les équipes du « centre de commande » chargées de veiller sur le site 24h/24 et 7j/7, ont annoncé avoir quitté l’entreprise

Or ces coupes dans les équipes ne sont pas anodines : comme le relate le site spécialisé The Verge, les départs affectent des fonctions internes importantes pour le service. Les équipes du « centre de commande », par exemple, chargées de veiller sur le site 24h/24 et 7j/7, ont ainsi annoncé avoir quitté l’entreprise. On peut aussi signaler de nombreux départs chez les développeurs chargés de maintenir les interfaces de programmation à destination des développeurs tiers, parmi les équipes chargées de rediriger les demandes internes aux services correspondants, ou encore parmi les employés chargés de développer et de maintenir les outils utilisés par les ingénieurs de la société. Autant de personnes responsables jusqu’ici de la stabilité du site et dont les postes sont aujourd’hui vacants.

Des figures importantes de l’équipe dirigeante, par ailleurs, s’en sont allées : c’est le cas de Lea Kissner, responsable de la sécurité du réseau social, ainsi que de Damien Kieran et Marianne Fogarty, respectivement responsable de la vie privée et directrice conformité. Ces départs viennent s’ajouter à ceux du mois de septembre après l’annonce du rachat : le PDG, Parag Agrawal, avait quitté l’entreprise à cette occasion, embarquant avec lui une bonne partie de l’équipe dirigeante.

Les troupes qui restent sont donc anémiques, mais Elon Musk compte tout de même sur elles pour parachever rapidement de nouveaux projets. Outre le lancement – compliqué – du nouveau programme Twitter Blue (dont le déploiement est pour l’heure repoussé, au mieux, au 29 novembre), s’ajoutent de nouvelles ambitions, d’après des documents internes consultés par The Verge. Parmi elles, le déploiement de conversations audio et vidéo chiffrées, ainsi qu’un projet maintes fois envisagé par le réseau social et maintes fois repoussé : le chiffrement des messages directs, qui permettrait de garantir la confidentialité des échanges privés (les « DM ») entre les utilisateurs.

De tels projets sont gourmands en ressources, ce qui explique qu’Elon Musk ait affirmé, lors d’une rencontre lundi 21 novembre avec les salariés, que Twitter recherchait désormais activement des ingénieurs et des commerciaux pour repeupler ses bureaux. A commencer par des « stars » dans leur domaine : le développeur américain George Hotz, connu pour avoir été l’un des premiers à pirater la PS3 en 2011 ou l’iPhone en 2007, a ainsi annoncé avoir été embauché pour 12 semaines afin de revoir et améliorer les fonctions de recherche proposées par le réseau social.

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Les soutiens de M. Musk pourront objecter que, malgré ces départs, Twitter continue de tourner sans problème majeur. Mais derrière l’apparente sérénité du nouveau PDG, certains signes laissent penser que tout ne va pas au mieux sur le réseau social.

Les outils automatisés permettant de filtrer les contenus protégés par le droit d’auteur semblent ainsi avoir eu des ratés, permettant à des internautes de publier des films entiers sur la plate-forme. Ces contenus sont restés en ligne plusieurs heures avant d’être finalement supprimés par les auteurs des tweets eux-mêmes ou par les équipes de modération. De même, comme le montre une étude de l’ONG Center for Countering Digital Hate (CCDH), relayée par le Guardian, les tweets racistes visant des joueurs de la Coupe du monde, qui auraient dû être supprimés rapidement, restent aujourd’hui en ligne dans l’immense majorité des cas.

Une surveillance accrue des régulateurs

Ces problèmes de modération sont d’ailleurs au cœur d’un autre danger majeur auquel s’expose actuellement Twitter : les réformes de M. Musk, partisan d’une liberté d’expression maximale, ont attiré l’attention de la quasi-totalité des régulateurs, aux Etats-Unis, en Europe et dans bien d’autres pays. Et ces derniers sont désormais dotés de pouvoirs de sanction dissuasifs, particulièrement en Europe.

Si deux textes européens majeurs, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), sont toujours en cours de finalisation, ils devraient rapidement imposer de nouvelles obligations drastiques aux plates-formes comme Twitter. Le DSA prévoit notamment de fortes contraintes sur l’efficacité de la modération et peut sanctionner les entreprises d’amendes allant jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires annuel.

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Un éventail de réglementations s’applique par ailleurs d’ores et déjà, à commencer par le Règlement européen sur la protection des données (RGPD), qui protège la vie privée des citoyens européens et prévoit également d’importantes sanctions en cas d’infraction. Le régulateur irlandais de la vie privée, qui coordonne dans le cadre du RGPD les plaintes contre Twitter en Europe, a déjà fait part de son inquiétude après le fiasco des comptes certifiés payants, et ce alors que l’incertitude plane sur le nombre et l’identité des personnes qui, chez Twitter, sont aujourd’hui ses « points de contact ». Le réseau social avait par ailleurs déjà suscité l’intérêt des régulateurs de la vie privée européens, dont la CNIL française, après la publication cet été des révélations de l’ancien responsable de la sécurité de Twitter, Peiter Zatko, auprès du Congrès américain.

Aux Etats-Unis, deux des plus puissants régulateurs du pays ont émis des avertissements publics

Aux Etats-Unis, deux des plus puissants régulateurs du pays ont aussi émis des avertissements publics. D’un côté, la Federal Trade Commission (FTC), saisie par des sénateurs démocrates se disant inquiets du « mépris conscient affiché par Twitter envers ses utilisateurs » ; le 10 novembre, la FTC a dit « suivre avec une grande inquiétude » l’évolution de la situation chez Twitter après les vagues de licenciements. De l’autre, la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine, mène deux enquêtes distinctes : la SEC cherche à déterminer si, d’une part, M. Musk a menti publiquement lorsqu’il cherchait à lever des fonds pour acquérir Twitter. Et, d’autre part, si l’ancienne direction a cherché à tromper les régulateurs, comme l’affirme Peiter Zatko.

S’ajoute à cela le Comité pour les investissements étrangers du Sénat américain, auquel plusieurs élus demandent d’ouvrir une enquête sur le montage financier utilisé par M. Musk pour acquérir Twitter – et notamment sur la présence au capital de l’entreprise du principal fonds souverain saoudien, ce qui pose, estiment ces élus, un risque pour la sécurité nationale.

Enfin les décisions de M. Musk de relâcher largement les règles de modération – déjà très permissives – du réseau social pourraient aussi attirer l’attention de plusieurs régulateurs nationaux, notamment en Allemagne ou en France, où des textes particuliers encadrent très strictement la publication de messages faisant l’apologie du nazisme ou du terrorisme. L’entrepreneur a envoyé, depuis sa prise de contrôle, des signaux contradictoires à ce sujet, assurant aux annonceurs que Twitter resterait un espace modéré, mais licenciant l’essentiel des équipes chargées de cette tâche. Sous sa direction, Twitter a par ailleurs rétabli les comptes de plusieurs personnalités américaines d’extrême droite, complotistes ou antisémites, à l’image de celui du chanteur Ye – nouveau nom de scène de Kanye West – suspendu quelques semaines plus tôt.

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Une situation financière instable

Un troisième défi, et non des moindres, pèse sur Twitter : redresser les finances de l’entreprise et limiter les risques pour Elon Musk, qui s’est endetté pour racheter le réseau social. Les difficultés économiques de la plate-forme ne sont pas nouvelles : depuis sa naissance, en 2006, ses résultats annuels ont très souvent été dans le rouge. En 2021, la société a déclaré cinq milliards de dollars de revenus, en hausse par rapport à 2020, mais trop court d’environ 220 millions de dollars pour couvrir ses dépenses de fonctionnement de l’année.

Surtout, 89 % de ces revenus sont issus de la publicité, secteur qui montre des signes de frilosité depuis l’intronisation d’Elon Musk dans les locaux californiens. L’une des plus grandes sociétés publicitaires, GroupM, a ainsi récemment mis en garde ses clients sur les risques encourus par les marques sur le site, selon le site spécialisé Digiday. Si bien que chez Twitter, les doutes des annonceurs inquiètent, selon des conversations et documents internes analysés par le site Grid, tout comme les plans de licenciements qui ont frappé les équipes commerciales et mis en difficulté les négociations avec les annonceurs dans certains secteurs géographiques. Le lancement avorté de Twitter Blue, qui a notamment permis à des internautes facétieux d’usurper temporairement l’identité de certaines marques en arborant un badge « vérifié », est également un sujet sur lequel les équipes commerciales cherchent à rassurer leurs clients.

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Il faudra aussi, pour sauver et consolider les revenus publicitaires en attendant une hypothétique transition vers un système d’abonnement payant, arriver à maintenir la masse d’utilisateurs du réseau social. Dans son dernier rapport annuel, Twitter revendiquait 217 millions d’utilisateurs actifs quotidiens « monétisables », c’est-à-dire qui peuvent voir et consulter des publicités sur la plate-forme. Mais selon l’agence Reuters, un récent rapport interne s’est inquiété d’une baisse de la tranche la plus active des utilisateurs du site, notamment chez les internautes anglophones. Ce même rapport pointait une croissance des contenus anglophones liés à la nudité, la pornographie et les cryptomonnaies, qui peuvent être jugés indésirables pour le grand public.

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Il reste difficile d’estimer si Twitter encourt réellement, à terme, le risque d’une migration massive de ses utilisateurs vers d’autres réseaux sociaux pour l’heure plus confidentiels, comme Mastodon (qui revendique aujourd’hui 6,5 millions d’utilisateurs inscrits), ou encore Hive (qui a annoncé avoir passé le cap du million d’utilisateurs). De son côté, Elon Musk assure même que sa plate-forme bat, ces dernières semaines, des records de fréquentation.

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Assainir la situation financière de Twitter n’en reste pas moins urgent pour l’homme d’affaires : pour finaliser le rachat, M. Musk a dû contracter un prêt de 12,7 milliards de dollars auprès de sept établissements financiers, dont Morgan Stanley, mais aussi BNP Paribas et la Société Générale, selon The Financial Times. Une dette qui devrait, analyse le Wall Street Journal, s’ajouter à celle que le réseau social doit déjà rembourser, et donc plomber un peu plus encore les comptes de la société.

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