Un randonneur fatigué, un senior au sourire radieux, un employé angoissé… Sur Internet, des centaines de millions de clichés ainsi mis en scène sont proposés par des sites d’agences de photo stock pour quelques euros. Ils sont créés par un immense contingent de contributeurs, dont les plus actifs en ajoutent plusieurs milliers par an, la productivité étant capitale quand les revenus par image sont modestes. Or, en matière de rendement, les intelligences artificielles (IA) génératives sont un concurrent coriace : elles produisent des milliards d’images par an, selon les estimations publiées sur le blog de l’entreprise Everypixel. Un rythme que les photographes de stock peuvent avoir du mal à suivre.
Les IA comme Midjourney ou Dall-E ont-elles commencé à grignoter leurs revenus ? La question est sensible – aucune des trois grosses agences, ShutterStock, Adobe Stock et iStock, n’ont répondu sur ce point. Car, depuis 2023, ces sociétés ont toutes fait rentrer le loup dans la bergerie en ajoutant une IA de génération d’images à leur site Internet.
Adobe Stock a même été plus loin : son catalogue mélange désormais les images créées par IA aux photos classiques. Si bien qu’en faisant des recherches sur certains mots-clés, comme grand father (« grand-père »), une majorité d’images artificielles émerge parmi les 50 premiers résultats. Des photos fabriquées par des comptes récents, recelant souvent des milliers d’images générées en quelques mois.
Les photographes s’adaptent
Shannon Fagan, photographe et consultant en photo stock, n’observe pour le moment « pas de signes d’une baisse généralisée des revenus des auteurs ». Interrogée par Le Monde, Nicoleta Ionescu, photographe aux 19 000 images sur Shutterstock, relève même « une petite hausse ces deux dernières années ».
Cette dernière indique néanmoins avoir pris les devants en augmentant la qualité et la quantité de ses images afin de surnager dans un potentiel océan de clichés générés par IA. « J’aime me comparer à un poisson qui nage à contre-courant », plaisante-t-elle. Sven Hansche a, lui aussi, agi préventivement. « J’ai arrêté les portraits, faciles à imiter pour l’IA, et accéléré la capture de photos de voyage prises au drone », confie ce photographe, dont les revenus sont aussi restés stables.
D’autres photographes interrogés accusent néanmoins bien une baisse. « Difficile d’estimer la chute que j’ai subie (…) car la photographie de stock est sujette à de fréquents bouleversements, qui ont tendance à s’empiler », jauge Miodrag Ignjatovic, auteur d’un immense catalogue de 100 000 images, dont les plus populaires illustrent la vie de famille. Mais je dirais que l’IA a fait baisser mes revenus de 10 %. » Pour certains, c’est même l’effondrement. C’est le cas de Carlos David, à l’origine de portraits de personnes aux peaux de toutes les couleurs, qui relève une baisse de 40 % de ses recettes, en grande partie due à l’IA, selon lui. Ou d’Artem Firsov, dont les ventes d’images capturées sur et sous la mer chutent de 45 % « depuis l’émergence de l’IA Midjourney 5 mi-2023 ».
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