Le fondateur de Telegram, Pavel Durov, va devoir rester en France. Arrêté de manière fracassante samedi soir par des policiers et des gendarmes à l’aéroport du Bourget, il vient en effet d’être mis en examen à l’issue de sa garde à vue. Ce terme juridique signifie qu’il existe, pour le magistrat instructeur, des indices graves et concordants contre lui.
Comme le souligne le parquet de Paris dans son communiqué, il a été inculpé pour les douze infractions visées par l’information judiciaire, ouverte au début du mois de juillet. Le milliardaire franco-russe est donc ainsi poursuivi pour complicité d’administration d’une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite, en bande organisée.
Ce délit est passible d’une peine maximum de dix ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende. Mais il est également poursuivi pour blanchiment de crimes ou délits en bande organisée, une infraction passible de dix ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende – les peines ne sont pas cumulables en France.
Interdiction de quitter la France
Les autres infractions visées sont relatives aux trafics menés sur Telegram, que ce soit de la cybercriminalité, de la pédopornographie, du trafic de stupéfiants, des escroqueries en bande organisée et une association de malfaiteurs. La justice reproche en outre à Pavel Durov le refus de communiquer les informations ou documents nécessaires pour la réalisation et l’exploitation des interceptions autorisées par la loi.
Il est enfin poursuivi pour la fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme. De même pour la fourniture et importation d’un moyen de cryptologie n’assurant pas exclusivement des fonctions d’authentification ou de contrôle d’intégrité sans déclaration préalable.
Le milliardaire a une fortune estimée à 15 milliards d’euros
Si Pavel Durov n’a pas été placé en détention, il est toutefois placé sous contrôle judiciaire. Il devra ainsi remettre un cautionnement de 5 millions d’euros.
Outre un pointage deux fois par semaine au commissariat, il a bien sûr l’interdiction de quitter la France.
Le milliardaire, à la fortune estimée à 15 milliards d’euros, a certes de larges moyens financiers pour financer sa fuite. Mais il s’exposerait ensuite à une traque qui le bannirait de facto d’une grande partie du monde.
« Quasi-totale absence de réponse »
Dans son communiqué, le parquet de Paris a reprécisé la genèse de cette procédure. Comme la procureure Laure Beccuau le rappelle, c’est la “quasi-totale absence de réponse” de la plateforme Telegram, créée pourtant onze ans plus tôt, aux réquisitions françaises, qui a alerté la section cyber du parquet de Paris, J3.
Le parquet a ainsi ouvert une enquête préliminaire en février 2024, avec des investigations alors coordonnées par l’office des mineurs. Comme le dévoile Politico, deux mandats de recherche ont alors été rapidement émis, le 25 mars 2024. Ils visaient Pavel Durov, mais également son frère, Nikolaï Durov. L’autre cofondateur de Telegram est en charge du développement technique de l’application.
Des policiers menant une enquête sous pseudonyme sur Telegram avait identifié un utilisateur suspect. Ce dernier se vantait en effet d’obtenir des contenus pédocriminels autoproduits par des jeunes filles mineures. L’individu assurait également avoir violé une enfant. Mais la réquisition pour identifier l’auteur du compte était restée sans réponse.
« Totalement absurde »
“Il est totalement absurde de penser que le responsable d’un réseau social”, comme Pavel Durov, “puisse être impliqué dans des faits criminels” qui seraient commis via la plateforme, a riposté mercredi soir l’avocat du milliardaire, David-Olivier Kaminski. Toutefois, Telegram n’est pas vraiment une application comme les autres.
La plateforme a gagné une place centrale dans différents écosystèmes criminels. Que ce soit la cybercriminalité ou le trafic de stupéfiants. Telegram semble privilégiée par les trafiquants de tout poil pour plusieurs raisons.
Pour ses fonctionnalités techniques tout d’abord. L’application est plus simple d’accès que les marchés noirs accessibles via le navigateur Tor. Et ses groupes privés peuvent rassembler jusqu’à 200 000 personnes. Quant à ses canaux publics, ils ont une audience illimitée.
Le soutien d’Eon Musk
Telegram fait ensuite de son absence de coopération judiciaire un argument commercial. Par exemple, l’application signale sur son site internet avoir une infrastructure distribuée. Comme elles est répartie dans le monde, cela lui permet d’entraver toute demande judiciaire, dit-elle en substance.
Une façon pour Telegram de se poser en défenseur de la vie privée et de la liberté d’expression. Cet argumentaire a été repris récemment tant par le milliardaire Elon Musk ou le lanceur d’alerte Edward Snowden.
L’enquête ouverte contre Pavel Durov suggère pourtant des faits sordides bien différents.