Computer Theatre est un jeu vidéo qui commence en nous proposant de choisir entre trois personnages – Cathy, Beth et Kent. Un jeu vidéo qui, à la façon d’un livre dont vous êtes le héros à la narration non linéaire, raconte une histoire interactive, demande de lire des coupures de journaux et des dialogues, de faire des choix, d’interagir avec d’autres personnages. Computer Theatre est un jeu vidéo et, pourtant, il n’existe pas.
En réalité, il s’agit d’un prototype de jeu Commodore 64 jamais rendu public, développé en 1984 pour le compte du studio Activision et exhumé par une équipe « d’archéologues numériques ». « Tout a commencé un peu par hasard », se souvient Katie Biittner, anthropologue à l’université MacEwan (Alberta), au Canada, et dont l’étude, que Le Monde a pu consulter, sortira en décembre dans la revue spécialisée ROMchip. « C’est Paul Allen Newell, qui travaillait comme graphiste et programmeur de jeu vidéo, qui m’a parlé de ce projet ancien auquel il avait participé. »
Aux côtés de Carl Therrien, professeur en histoire du jeu vidéo à l’université de Montréal, et de John Aycock, spécialiste en informatique à l’université de Calgary (Alberta), Katie Biittner se lance sur la piste du jeu perdu : ensemble, et avec le concours de Paul Allen Newell, ils déterrent des notes écrites, des échanges de courriers, des impressions sur papier accordéon, mais aussi vingt et une disquettes contenant 262 fichiers. « Il y avait plusieurs copies de différentes versions du code du jeu, raconte John Aycock. Nous avons assez rapidement pu les assembler pour faire tourner Computer Theatre sur un programme émulant le Commodore 64. Heureusement, le prototype était déjà assez avancé, voire quasiment fini. »
Fouilles réelles ou numériques
Ce travail de fouilles appliqué aux jeux vidéo, ou archeogaming, est une science encore récente, théorisée en 2013 par l’archéologue Andrew Reinhard. Des fouilles parfois littérales, quand les chercheurs vont creuser dans le désert du Nouveau-Mexique pour y trouver de mythiques stocks d’invendus. Des fouilles numériques quand ils suivent les traces que laissent joueuses et joueurs dans les univers virtuels qu’ils ont parcourus pendant des années. D’autres recherches s’intéressent plutôt au code d’un jeu et repèrent comment celui-ci est réutilisé dans des œuvres postérieures. Andrew Reinhard fait un parallèle parlant : « C’est un peu comme retrouver les restes d’une cité antique. On voit comment les villes plus modernes se sont construites autour et se sont inspirées des civilisations précédentes. »
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