Demandez à des joueurs de nommer une ressource magique qui permet de lancer des sorts, il y a toutes les chances pour qu’ils répondent : le mana. On le retrouve ainsi de Magic : The Gathering (1993), qui a révolutionné les jeux de cartes à jouer et à collectionner, jusqu’au jeu vidéo Visions of Mana, sorti le 29 août, en passant par Black Myth : Wukong (2024) ou World of Warcraft (2004).
Le concept est tellement répandu qu’il est « universel pour les joueurs », constate Erwan Roux, qui a d’ailleurs choisi de baptiser Mana Books sa maison d’édition dédiée à la pop culture. « C’est une mécanique de jeu vieille comme le monde », renchérit Paul Bellezza, producteur exécutif de League of Legends (2009), de Riot Games. Dans ce jeu vidéo compétitif ultra-populaire, par exemple, le mana se matérialise sous la forme d’une jauge bleue de magie qui, « en plus de la santé, donne une autre source de pouvoirs aux champions ».
Malgré son omniprésence, les origines du mana sont pourtant souvent méconnues des joueurs. Le mot est apparu dans la langue des Austronésiens, un peuple issu de l’île de Taïwan et dont l’idiome a donné naissance à un groupe de langues parlées depuis Madagascar jusqu’à la Polynésie. C’est à ces navigateurs que l’on attribue le peuplement du Pacifique, il y a près de cinq mille ans. Depuis, le mot a perduré dans toutes les langues de Mélanésie et la plupart des langues de Polynésie.
De l’Océanie à l’appropriation occidentale
Aujourd’hui, le mana est profondément associé à la culture et à la spiritualité des populations d’Océanie. En témoigne ce que répétait aux journalistes, le 6 août, au lendemain de sa médaille d’or aux Jeux olympiques de Paris 2024, le surfeur Kauli Vaast, né à Tahiti : « Le mana était avec moi. » Interrogé sur son sens, le sportif évoque tour à tour « quelque chose d’ancestral » et « une énergie spirituelle propre à la culture polynésienne ».
« Son sens le plus générique est celui d’une source de pouvoir spirituel et d’autorité », explique Alex Golub, anthropologue à l’université de Hawaï à Manoa, à Honolulu. « Mais attention : il peut avoir des significations très différentes en fonction de l’époque et des cultures qui l’utilisent », insiste l’auteur de How Mana Left the Pacific and Became a Video Game Mechanic (« Comment le mana a quitté le Pacifique pour devenir une mécanique de jeu vidéo », Australian National University Press, 2016, non traduit).
La découverte du mana par les Européens est récente. La première occurrence écrite figure dans un document du navigateur Anglais James Cook datant de 1777. Puis la publication de l’ouvrage ethnographique The Melanesians (Les Mélanésiens, 1891), de l’Anglais Robert Codrington, lui donne des contours plus précis : « C’est l’énergie qui influence tout ce qui va au-delà du pouvoir ordinaire de l’homme », écrit ce missionnaire érudit, qui le décrit comme le cœur de la religion en Mélanésie.
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