Comment le soft power saoudien embarque la technologie

Comment le soft power saoudien embarque la technologie


Riyad (Arabie saoudite) – Huawei, Microsoft, Facebook… le manège de bureaux flambant neuf des géants mondiaux de la tech défile le long des immenses artères. Relier en voiture le Financial District de la capitale saoudienne au centre de conférence, situé 15 kilomètres au nord, c’est déjà être projeté dans le futur rêvé de l’Arabie saoudite.

Immense territoire peu peuplé, le pays n’est pas jusqu’ici sur la carte des nations qui pèsent dans l’économie numérique mondiale. Avec un PIB de 646 milliards de dollars, c’est d’abord un géant du pétrole, une économie de rente prospère dont il est difficile de se détacher.

C’est pourtant l’ambition du prince héritier, Mohammed Ben Salman, dit M.B.S. Sous son impulsion, le pays a enclenché en 2019 un mouvement de réformes, dont l’une est la diversification des activités économiques. Le pays doit donc s’ouvrir, parfois à marche forcée, à la technologie. La conférence Leap, qui se tenait cette semaine à Riyad, cristallise ces ambitions, et permet de mesurer le chemin qui reste à parcourir.

« Nous devons utiliser à notre avantage notre localisation géographique »

« L’an passé, nous avons eu 100 000 personnes. Cette année, nous sommes à 250 000 », assure fièrement Naif Sheshah, responsable du planning et du développement du ministère saoudien du Numérique. Les allées du salon sont de fait pleines à craquer. La présence de 172 000 visiteurs a été communiquée par l’organisation à la fin de l’événement. « Leap, c’est à la fois un moyen d’intéresser les Saoudiens au numérique, et de faire venir des acteurs étrangers. »

« Leap, c’est à la fois un moyen d’intéresser les Saoudiens au numérique, et de faire venir des acteurs étrangers. »

Les signatures de contrat annoncées au salon reflètent de la volonté de mettre en place un véritable hub régional de cloud computing dans le Royaume. 9 milliards de dollars vont être investis dans l’infrastructure numérique du pays, avec l’arrivée de Microsoft Azure, d’Oracle ou encore de Huawei.

« Nous devons utiliser à notre avantage notre localisation géographique, au carrefour de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie », indique Naif Sheshah. A l’image de ce que les voisins qataris et dubaïotes ont réussi avec leurs compagnies aériennes.

La feuille de route du cloud, si elle est ambitieuse, demeure floue

Reste que la feuille de route du cloud, si elle est ambitieuse, demeure floue. Naif Sheshah ne communique pas sur des dates de mises en service des datacenters, mais promet que cela sera « rapide ».

C’est d’abord le secteur de la fintech qui explose dans la zone MENA. Les premiers géants régionaux s’affrontent, et les usages sont très développés. Le paiement sans contact avec un smartphone est le mode de paiement le plus populaire sur le salon Leap, et les cartes de crédit semblent avoir disparu.

L’Arabie saoudite accompagne le mouvement en proposant des « sandbox réglementaires » aux start-up de la fintech qui souhaitent s’y développer. « Vous pouvez élaborer un produit ici, le mettre en production, avoir quelques clients, sans vous soucier des contraintes réglementaires », assure Naif Sheshah. « Cela permet de tester des produits sans la contrainte immédiate des règles bancaires de mise sur le marché. »

Tout miser sur la fintech

Mohamed Milyani est l’un des nombreux startupeur qui tentent leur chance sur ce terrain propice. Sa société Nqoodlet propose une plateforme B to B pour gérer les cartes de crédit en entreprise. Elle a démarré en 2021 avec une levée de fonds de 1,1 million de dollars, réalisée en 4 mois. De quoi tenir 18 mois.

Le dirigeant assure que sa seconde levée de fonds ne posera aucun problème, et qu’il signe déjà des clients. « Nous ne sommes pas sur un marché très concurrentiel », note-t-il. Il ajoute avoir trouvé rapidement 3 millions de dollars, alors qu’il n’en requérait que 2,2 millions.

« Il y a beaucoup d’investisseurs ici qui sont prêts à mettre la main à la poche », détaille un expert régional. « Mais il leur faut rapidement un ROI au-delà de 6 %. » Et ce, dans un pays sans inflation. « Mais l’exit n’est pas un problème », tempère-t-il. Et de citer les nombreux conglomérats nationaux qui font régulièrement leur marché dans l’écosystème.

L’enjeu de la formation aux métiers du numérique

Réglementation souple, infrastructures numériques promises, capitaux juteux, quel est donc le défi de la tech dans le Royaume ? Eh bien… les compétences IT. « Je travaille uniquement avec des développeurs qui sont à l’étranger », raconte le fondateur de Nqoodlet. « Ils sont sur des contrats de trois mois renouvelables, ce qui me permet de contrôler la qualité de leur travail. »

Le pays doit donc former une jeunesse pléthorique – près de 70 % de la population a moins de 30 ans – aux métiers du numérique. C’est le travail de la fondation MISK, qui envoie principalement aux Etats-Unis la jeunesse saoudienne se former.

Mais la stratégie saoudienne consiste aussi à sécuriser des relations avec des pays proches où les talents ne manquent pas. « Le Pakistan est sur le modèle indien pour la formation, il sort chaque année des milliers d’ingénieurs informatiques », indique un expert. « Mais leur infrastructure numérique est très peu développée. Ici, en Arabie saoudite, il y a un très fort potentiel de marché, mais il manque des talents. »

Devenir une puissance numérique régionale

Relier développeurs pakistanais et sociétés saoudiennes, c’est l’une des missions de l’Organisation de coopération numérique (DCO – Digital Cooperation Organisation). 13 pays de la région et au-delà (Pakistan, Rwanda, Chypre) y sont regroupés pour développer leur prospérité numérique. Deemah AlYahya, la secrétaire générale, réfute que la DCO soit pilotée par l’Arabie saoudite.

Reste que l’organisation est née en 2020, dans le sillage de la feuille de route Vision 2030, qui articule les grands chantiers de transformation numérique du pays. « Nous voulons créer une Station F ici », indique plus clairement un expert régional.

Le DCO va publier l’an prochain un « index du numérique » pour objectiver les forces et les faiblesses de chaque pays avec des indicateurs tels que la connectivité, les possibilités de financement, ou encore le niveau de formation. De quoi donner une idée assez claire aux dirigeants saoudiens des moyens de devenir une puissance numérique régionale, sinon mondiale.





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