Le scénario est désormais rodé : un lanceur d’alerte sollicite un consortium de journalistes d’investigation, à qui il remet une masse de données brutes avec comptes offshore et sociétés-écrans, laquelle est partagée entre des médias du monde entier, qui travailleront des mois durant pour débusquer les fraudeurs et les réseaux criminels derrière les hommes de paille. La suite est, elle aussi, désormais connue : des enquêtes fiscales et judiciaires sont lancées par centaines, qui font revenir dans les caisses publiques l’argent caché dans les paradis fiscaux.
Les enquêtes collaboratives internationales conduites par les médias ont permis à de nombreux Etats de récupérer des sommes importantes. Les seuls « Panama Papers », parus en 2016, ont rapporté plus de 1,1 milliard d’euros en impôts et en pénalités au plan mondial, selon une évaluation de 2021. La France, pour sa part, a engrangé près de 200 millions d’euros grâce aux « Panama Papers » et aux « Paradise Papers », parus en 2017, selon une évaluation de 2023. Et le compteur continue de tourner.
Si les « Panama Papers » et leurs révélations sur les milliards de dollars dissimulés dans les Caraïbes ont été le point d’orgue de ces « Leaks » (« fuites de données ») explosifs, créant une onde de choc mondiale, tout a commencé il y a dix ans. C’est en effet en avril 2013 que paraît la première enquête du genre, les « Offshore Leaks », résultat de quinze mois d’une enquête menée par plus de trente médias, dont déjà, en France, Le Monde.
Projecteur braqué
Pour la toute première fois, une fuite de fichiers secrets sur la finance offshore d’une ampleur inédite − 126 fois plus massive que les câbles diplomatiques de WikiLeaks, l’organisation de Julian Assange − parvient au consortium d’investigation américain ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists), grâce à d’anciens employés demeurés anonymes d’entreprises spécialisées sur ce marché. Ces documents révèlent l’existence de 120 000 sociétés offshore, créées dans les îles Vierges britanniques et les îles Caïman, pour soustraire de l’argent au fisc ou y cacher le produit d’autres infractions (détournement d’argent public, corruption, trafic de drogue, etc.). Leurs propriétaires, soudain dévoilés, sont de riches particuliers, des entrepreneurs fortunés et des personnalités politiques de haut niveau.
Les « Offshore Leaks » seront le début d’une longue série d’investigations au long cours (« LuxLeaks », « SwissLeaks », « Paradise Papers », « OpenLux », etc.), qui modernisent l’enquête, mêlant l’analyse de données massives au journalisme de terrain, selon la règle du « follow the money » − qui consiste à remonter jusqu’à l’origine des fonds ou à suivre leur destination.
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