Intel, autrefois titan incontesté de l’informatique, est confronté à des défis sans précédent. La semaine dernière, le secteur a été secoué par des nouvelles explosives : Apollo aurait proposé une prise de participation de plusieurs milliards de dollars dans Intel, tandis que Qualcomm explorerait un rachat potentiel du géant des semi-conducteurs, évalué à 90 milliards de dollars.
Les difficultés d’Intel sont le résultat d’un changement sismique. Des architectures à faible consommation d’énergie et basées sur l’intelligence artificielle, poussées par comme Arm et Nvidia, sont en train de dominer le paysage technologique.
Le déclin de l’architecture x86 dans un monde orienté vers le cloud et l’IA
Pendant plus de 40 ans, x86 a été l’architecture informatique dominante sur les PC et les serveurs. Cependant, les limites du x86 sont devenues évidentes à mesure que les applications cloud native, les charges de travail d’IA et les demandes de traitement parallèle augmentaient. Le besoin d’architectures plus efficaces et évolutives a dépassé les améliorations progressives apportées par Intel à x86.
Les tentatives d’Intel de reprendre le leadership avec son processus de fabrication 18a ont été entravées par des retards et des défis techniques, ce qui a encore affaibli son avantage concurrentiel.
En revanche, Nvidia a pris la tête du hardware d’intelligence artificielle. Arm s’est développé sur les marchés de l’informatique de haute performance (HPC), de la téléphonie mobile et des centres de données, laissant Intel dans l’obligation de rattraper son retard.
L’essor d’Arm : de l’informatique mobile à l’informatique haute performance
Arm s’est d’abord fait connaître dans le domaine des appareils mobiles. Mais son architecture a depuis fait des percées significatives dans les systèmes informatiques plus puissants. Le tournant s’est produit avec la transition d’Apple vers Apple Silicon en 2020.
Les puces M1 et M2 d’Apple, basées sur l’architecture Arm, offraient une efficacité énergétique et des performances de calcul qui surclassaient les processeurs x86 d’Intel.
Il s’agissait là d’un changement majeur, qui prouvait que les systèmes basés sur la technologie Arm pouvaient prendre en charge des tâches informatiques grand public et de haute performance.
L’ascension de Qualcomm : redéfinir les ordinateurs de bureau et les serveurs
Qualcomm, traditionnellement leader dans le domaine des puces mobiles, dépasse désormais le cadre des smartphones pour se lancer dans l’informatique de bureau et les centres de données. Avec l’introduction des PC CoPilot fonctionnant avec le nouveau processeur Snapdragon X, Qualcomm a fait un pas important sur le marché des ordinateurs de bureau. Il propose une nouvelle génération de PC Windows basés sur Arm et conçus pour l’IA et les charges de travail en mode cloud.
Cette plateforme représente un changement fondamental dans le paysage des ordinateurs de bureau, où x86 est remplacé par l’architecture Arm plus efficace et optimisée pour l’IA.
Le rôle de Qualcomm dans le datacenter s’accroît également. S’appuyant sur son expertise en matière d’informatique mobile et de edge computing, Qualcomm développe des processeurs spécialement conçus pour les tâches liées au cloud et à l’IA, en mettant l’accent sur l’efficacité énergétique et l’évolutivité. Bref, Qualcomm se positionne désormais comme un concurrent clé d’Intel et de Nvidia sur le marché du centre de données.
L’IA dans le datacenter : Nvidia et l’infrastructure personnalisée d’Apple
Les charges de travail liées à l’IA sont devenues essentielles aux opérations des centres de données. Et des entreprises comme Nvidia et Apple sont à l’avant-garde de la construction d’infrastructures personnalisées pour gérer ces tâches.
La plateforme Grace Hopper de Nvidia combine les capacités du CPU et du GPU, offrant une puissance de traitement parallèle optimisée pour les tâches d’IA. Les serveurs traditionnels à base de x86 sont inefficaces pour gérer les charges de travail complexes et parallélisées que requiert l’IA.
De même, Apple a dépassé le stade des appareils grand public en exploitant l’Apple Silicon dans son initiative Private Cloud Compute pour Apple Intelligence. Exécutée sur des serveurs personnalisés utilisant macOS/Darwin, l’infrastructure d’Apple est optimisée pour les charges de travail internes d’IA et d’apprentissage automatique.
Comme Nvidia, le contrôle d’Apple sur le matériel et les logiciels lui a permis de construire des systèmes très efficaces qui répondent aux besoins spécifiques de l’entreprise en matière d’IA et de cloud.
Ces développements montrent comment l’avenir de l’IA et de l’infrastructure cloud s’oriente vers des plateformes matérielles personnalisées et optimisées pour l’IA, laissant x86 dans le rétroviseur.
La chute de la compatibilité x86 et la montée en puissance des architectures cloud-natives
À mesure que les entreprises adoptent des technologies cloud-natives telles que la conteneurisation, les microservices et le PaaS (Platform as a Service), la dépendance à l’égard des systèmes basés sur x86 a diminué.
Ces évolutions permettent aux développeurs de créer des applications agnostiques sur le plan matériel, ce qui réduit le besoin de machines virtuelles x86 dans le cloud.
Ce découplage de l’architecture x86 a ouvert la voie à des systèmes plus spécialisés, comme les serveurs basés sur Arm de sociétés telles que Ampere, qui offrent des économies d’énergie et une évolutivité significatives. Dans cet environnement, les offres x86 traditionnelles d’Intel perdent du terrain face à des solutions plus efficaces qui répondent mieux aux besoins des applications cloud-natives modernes.
Le rôle d’AMD : Du x86 à Arm et aux collaborations en matière d’IA
Alors qu’Intel connaissait des difficultés, AMD s’imposait comme un concurrent solide sur le marché du x86. Mais même AMD reconnaît que le paysage est en train de changer. AMD et Nvidia collaboreraient au développement de processeurs basés sur Arm pour les PC Windows, avec un lancement prévu dès 2025. Ce partenariat est un défi direct lancé à Intel. Et il montre que même les acteurs les plus puissants du x86 misent sur Arm pour l’avenir.
AMD s’associe également à Microsoft pour développer des puces d’IA personnalisées. Ce qui renforce son rôle dans un avenir axé sur l’IA. En outre, les puces Zen 4c d’AMD sont conçues pour concurrencer les puces Arm et Atom d’Intel, en offrant un équilibre entre performances, efficacité énergétique et évolutivité.
Ces mesures démontrent le positionnement stratégique d’AMD sur plusieurs architectures, alors qu’il se prépare à l’IA et à l’avenir énergétiquement efficace.
Architectures à sécurité mémoire : CHERI et l’avenir de l’informatique sécurisée
Les questions de sécurité deviennent de plus en plus critiques à mesure que l’IA et le cloud computing gagnent en complexité. CHERI (Capability Hardware Enhanced RISC Instructions), qui fait actuellement l’objet de recherches pour des versions spécialisées de Linux et FreeBSD et qui est pris en charge par la plateforme Arm Morello, est une étape prometteuse vers des architectures matérielles plus sûres.
La norme CHERI et la toute nouvelle Alliance CHERI visent à améliorer la sécurité de la mémoire au niveau du matériel, en réduisant les vulnérabilités qui pourraient compromettre les systèmes informatiques à grande échelle.
Alors qu’Apple explore des technologies de sécurité de la mémoire telles que CHERI pour ses systèmes d’exploitation, Microsoft l’étudie également pour les systèmes embarqués low cost. Toutefois, Microsoft n’a pas encore évoqué la mise en œuvre de CHERI pour Windows on Arm. Les architectures à mémoire sécurisée devenant de plus en plus importantes, l’évolution de l’industrie vers du matériel spécialisé et sécurisé néanmoins devrait s’accélérer.
Le paysage post-Intel : Arm, Nvidia, Qualcomm et les autres
Le paysage informatique a évolué de manière décisive vers Arm, Nvidia et Qualcomm, laissant à l’architecture x86 d’Intel un rôle de plus en plus réduit. Les technologies cloud native et les charges de travail liées à l’intelligence artificielle stimulent la demande de systèmes évolutifs et économes en énergie. Et donc RISC-V apparaît comme un acteur potentiel pour les applications spécialisées.
Alors que x86 peut persister sur des marchés de niche, les systèmes basés sur Arm et le matériel optimisé pour l’IA de Nvidia, Qualcomm et Apple sont prêts à dominer la prochaine génération d’infrastructures informatiques.
Mais Intel dispose encore d’un potentiel de progression grâce à son activité de fabrication de semi-conducteurs. Toutefois, elle doit résoudre les problèmes liés au processus 18a et rivaliser avec des fonderies comme TSMC pour rester compétitive. Il reste à voir si Intel peut s’adapter à l’ère de l’IA.