En 2014, à Londres, Uber avait le vent en poupe. Deux ans après son lancement, l’entreprise avait grignoté le marché des véhicules avec chauffeurs et des taxis traditionnels sans grande conséquence politique. Mais au printemps, un des émissaires d’Uber apporte une mauvaise nouvelle au sujet de Boris Johnson, le maire de Londres. « Ai vu Boris. Les dés sont pipés contre nous », écrit Jim Messina, un ancien conseiller de Barack Obama. Sensible aux reproches de ses concurrents, selon lesquels l’entreprise agirait aux marges de la loi, Boris Johnson refusait alors de rencontrer Uber. Dans un message interne, un lobbyiste d’Uber ira même jusqu’à dire que le maire de Londres aurait affirmé qu’il était « moins préjudiciable politiquement d’être photographié aux côtés du leader de l’Etat islamique que de Travis Kalanick », le PDG d’Uber.
Dans les années qui ont suivi, Uber a entrepris une campagne acharnée de lobbying pour empêcher Boris Johnson de faire adopter des règles plus strictes. L’ampleur de cet effort est révélée par les « Uber Files ». Le plan pour tenter d’influencer le maire est établi dès 2014 : « Nous avons besoin de relayer une image plus positive d’Uber auprès de Boris, par des gens en qui il a confiance et qu’il respecte. » Les cibles : des conservateurs, des conseillers du premier ministre et le régulateur, Transport for London (TfL), que préside le maire de Londres.
« Uber Files », une enquête internationale
« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.
Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.
Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.
Pour ce faire, Uber a recours à des lobbyistes de haut niveau, telle Rachel Whetstone, une très proche de David Cameron, premier ministre de l’époque, et de George Osborne, alors ministre des finances. « Boris Johnson était du côté des taxis traditionnels, ça n’était pas un secret. Et il contrôlait TfL : on avait besoin du gouvernement central, en l’occurrence David et George, pour peser sur lui », se souvient un ancien lobbyiste de l’entreprise américaine.
Dîner stratégique dans la Silicon Valley
A l’été 2014, les chauffeurs de taxi paralysent la capitale britannique, accusant Uber d’être hors la loi. Rachel Whetstone, alors directrice des affaires publiques de Google, l’un des principaux investisseurs d’Uber, suggère auprès de M. Kalanick une stratégie pour s’attirer les faveurs de l’establishment politique britannique. Elle invite aussi ce dernier à un dîner qu’elle organise dans la Silicon Valley et dont George Osborne est l’un des principaux convives. « Connaître George, c’est résoudre la moitié du problème côté gouvernement », écrit-elle à Travis Kalanick, en septembre 2014. Peu après, M. Kalanick débauche Mme Whetstone pour en faire sa directrice de la communication et des affaires publiques.
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