L’exposition consacrée à la ville de Venise, au tout nouveau Grand Palais immersif, accolé à l’Opéra Bastille, à Paris, est faite pour les pigeons. C’est, physiquement, la sensation que donne la première vue, celle plongeant sur un écran géant placé de biais en contrebas, de la ville défilant à vol d’oiseau. Les images sont spectaculaires et remarquablement travaillées. Mais c’est aussi, intellectuellement, celle que ressent le visiteur à la fin du parcours. Après s’être senti pousser des ailes, on se sent pigeonné.
Certes, on aura pu faire joujou avec des écrans tactiles : lors de notre passage, ils fonctionnaient presque tous – belle et rare performance dans ce genre d’exposition. On a ainsi été tout content de réussir à identifier, par leur silhouette et une série de questions, les petits métiers des Vénitiens, hélas, sans que jamais ne nous ait été expliqué que, dans l’une des rarissimes républiques du Moyen Age, ceux-ci ne votaient pas, le pouvoir étant confisqué par quelque 2 000 (sur les 150 000 habitants) patriciens.
On a également suivi la très inconfortable visite de Venise par l’un des personnages du jeu vidéo Assassin’s Creed, qui prend un malin plaisir à voltiger de toit en toit. Plutôt réussi (le graphisme surtout), mais malheureusement limité à quatre des six quartiers de la ville et à trois lieux, très sommairement décrits, pour chaque. On a aussi découvert comment les Vénitiens récoltaient le sel de la lagune, l’une des bases de la fortune de la ville à ses débuts. L’autre, c’était le commerce des esclaves, mais de ceux-là, il n’est point question. Et, plus généralement, du grand trafic maritime, qui n’est que modérément décrit.
Boucherie épique
Sur les mude, ces convois de galères de la Sérénissime envoyés bisannuellement dans les lointains – jusqu’à Anvers, au nord – pour échanger les marchandises, fort peu de choses : on préfère se concentrer sur l’arsenal, capable de construire un navire en une journée, ou sur la grandiose bataille de Lépante (1571), qui fut une victoire (paraît-il, mais fort coûteuse) de la chrétienté sur le Turc. En revanche, vue en peinture et démesurément agrandie sur trois écrans géants, la boucherie – la mer était rouge de sang, selon les contemporains – devient épique. Les enfants, grands et petits, contemplent religieusement avant de se pencher sur la maquette toute dorée du Bucentaure, la nef sur laquelle le doge allait rituellement chaque année renouveler ses noces avec la mer.
Pour l’architecture et l’ingéniosité incroyable des maçons de la cité lacustre, il faudra se contenter de bribes
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