Le lancement par la Chine d’une intelligence artificielle (IA) générative, DeepSeek, qui rivalise avec ChatGPT de l’américain OpenAI, mais en dépensant cinquante fois moins de ressources énergétiques, n’en finit pas de secouer la communauté internationale. Pour la géopolitologue Asma Mhalla, enseignante à Sciences Po et autrice de Technopolitique. Comment la technologie fait de nous des soldats (Seuil, 2024), cet épisode qui cristallise la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine doit réveiller les pays européens.
On a parlé, à propos du choc causé aux Etats-Unis par l’irruption de l’intelligence artificielle chinoise, DeepSeek, d’« un moment Spoutnik », en référence à la sidération qui avait saisi les Américains en découvrant au-dessus de leurs têtes le satellite russe en 1957. La comparaison est-elle pertinente ?
Celui qui a le premier fait ce parallèle, c’est Marc Andreessen, un investisseur pro-Trump. Il fait partie des faucons de la Silicon Valley, les bellicistes de la technologie qui ont imbriqué la rhétorique du business à celle de la guerre. Pour eux, les Etats-Unis doivent battre la Chine à plate couture sur le front technologique. Et l’IA, particulièrement, cristallise cette rivalité technologique et géostratégique entre les deux superpuissances. Evoquer Spoutnik s’intègre dans ce narratif de guerre froide.
Apprenant la nouvelle de DeepSeek, un autre investisseur, David Sacks, nommé dans la nouvelle administration « tsar » de l’IA et des cryptomonnaies, s’est félicité que Donald Trump ait abrogé le décret pris par Joe Biden pour mettre des garde-fous – avec des visées éthiques, notamment – au développement de l’IA. Il est clair que, pour Trump et son entourage, le mot d’ordre est désormais d’investir à fond, de pousser l’innovation au maximum, sans prendre de gants. Le président lui-même a appelé les industriels, lundi, à « se réveiller » et à ne penser qu’à « la compétition pour gagner ». Avec une telle formule, tout est dit. L’objectif est la puissance pour la puissance. Mais nul ne sait à quoi cela ressemblera exactement ni pour quel projet de société. L’humain est absent de cette pensée apolitique. Seule compte la rivalité avec la Chine. Etre dans une approche encore plus brutale, encore plus rapide, encore plus déréglementée.
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