Entre quelques cocotiers, une piste de danse illumine la pièce. Nous sommes 16 à y avoir été téléportés. Des regards s’échangent timidement à mesure que nous découvrons ce nouvel univers, à l’ambiance mi-futuriste, mi-cartoon. Dans nos oreilles, résonne un titre qui a déjà fait plusieurs fois le tour de la planète : Djadja.
Cette scène se déroule dans Fortnite. Depuis le jeudi 6 octobre au soir et pendant soixante-douze heures, le célèbre jeu vidéo de tir accueille un concert interactif et entièrement gratuit. Pour la cinquième et dernière édition d’une série d’événements du même genre baptisée « Ondes sonores », c’est Aya Nakamura, artiste française la plus écoutée dans le monde, qui a cette fois été choisie par l’éditeur Epic Games, succédant à d’autres grands noms de l’industrie musicale internationale, comme l’Australienne Tones And I ou le Japonais Gen Hoshino. Jusqu’à 18 heures dimanche, cette performance pré-enregistrée de 14 minutes, mettant en scène la Franco-Malienne et diffusée en boucle, est disponible depuis les menus du jeu.
Concours de danse et course de bateaux
Affublé de notre tenue de Lynx, nous parcourons quelques mètres au milieu des hologrammes de l’artiste, pour arriver dans une salle plus grande, placardée d’écrans géants sur lesquels son avatar se déhanche. Alors que personne ne se connaît sur le serveur, chacun fait enchaîner en rythme des danses à son personnage, en particulier des « emotes » (des chorégraphies personnalisées que l’on peut acheter) baptisées « Copines », spécialement créées en référence à l’un des titres les plus célèbres de la chanteuse.
Après un concours de danse (malheureusement perdu par l’auteur de ces lignes), notre aventure se poursuit dans un autre univers, fait de plages et d’espaces tropicaux. Chaque nouvelle musique apporte une esthétique visuelle et des animations qui lui sont propres, allant de la bataille de paintball dans un musée à des sessions de courses de bateaux en pleine mer. A la manière d’un jeu vidéo classique, le joueur est amené à les découvrir par lui-même, en explorant les recoins et en testant les différents mini-jeux. Finalement, le show se termine au milieu de feux d’artifice sur le titre Pookie et, comme une révérence, chacun effectue une dernière danse avant de se déconnecter du serveur.
« J’ai vraiment adoré ! », s’enthousiasme Mltftn, joueur de 18 ans et fan d’Aya Nakamura, rencontré sur le tchat Twitch après l’événement. « J’ai pu retrouver l’ambiance d’un concert tout en jouant, le fait qu’Aya nous parle au début comme en vrai m’a aidé à me mettre dans l’expérience », juge pour sa part Chloé, une joueuse occasionnelle de 22 ans. Leurs avis sont partagés par une partie de la communauté et les quelques influenceurs qui se sont déjà prêtés au jeu, comme le youtubeur Michou, qui a tenté l’expérience en direct devant ses 40 000 spectateurs.
Une réalité technique encore frustrante
Est-ce là un petit aperçu du « métavers » dont l’avènement serait imminent ? « C’est un espace virtuel qui vit sans vous et dans lequel vous pouvez pénétrer et y vivre des expériences interactives », décrit en forme d’affirmation Louis de Castro, PDG de l’entreprise française Mado XR, à l’origine des représentations d’Aya Nakamura diffusées sur les écrans géants.
Mais si les ambitions affichées par le secteur sont grandes, la réalité, elle, reste perfectible. D’abord parce que l’expérience dépend beaucoup des autres. Durant certaines des représentations auxquelles nous avons participé, les participants dansaient et jouaient ensemble, tandis qu’à d’autres, il était difficile ne serait-ce que d’apercevoir quelqu’un, tant chacun était occupé à collecter les ressources éparpillées sur la carte, pour ainsi récupérer les récompenses promises par l’éditeur.
La conception des niveaux proposés lors du concert reste par ailleurs très limitée, bien loin du monde de liberté sans bornes fantasmé par les investisseurs. Si par exemple vous restez trop longtemps à danser dans une zone, votre personnage se retrouve tiré comme un pantin à travers les obstacles et les cours d’eau, pour ensuite être déposé au milieu du dancefloor. « C’est un vrai problème. Les expériences sont assez linéaires parce que chacun possède du matériel informatique très différent. On est obligé de niveler par le bas », concède Louis de Castro. Enfin, si les espaces proposés sont censés être des lieux d’échange et de partage, il reste en réalité impossible de se parler entre joueurs lors du concert, rapprochant plus la performance d’un clip vidéo de haute volée que d’une reproduction fidèle d’un concert en chair et en os.
Reste que ces expériences laissent entrevoir une partie du potentiel de ces univers. D’un simple jeu de tir dans lequel l’essentiel de l’activité consiste à collecter des matériaux et les meilleures armes afin d’éliminer le plus d’adversaires, Fortnite se mue pour quelques jours en un espace virtuel à part, où chacun se retrouve sans armes ni animosité autour du même spectacle. « Ondes sonores » n’est d’ailleurs pas la seule expérimentation du genre menée par Epic Games dans Fortnite : l’éditeur a créé depuis deux ans un mode « Fête royale », un monde à part et sans armes contenant de nombreux mini-jeux récréatifs et dans lequel on peut échanger ou regarder un film avec ses amis.