C’est le serpent de mer qui agite le marché français des télécoms. Depuis 2012 et l’arrivé tonitruante de Free sur le marché du mobile, s’accompagnant d’une concurrence accrue et une baisse drastique des tarifs, la question d’un retour à trois opérateurs se pose à intervalles réguliers.
En une dizaine d’années, plusieurs tentatives de consolidation ont échoué. En 2014, Xavier Niel, patron de Free, évoque son intérêt pour racheter SFR qui passera finalement sous la bannière d’Altice, du rival Patrick Drahi. L’année suivante, ce dernier tente un rapprochement avec Bouygues Telecom pour contester le leadership d’Orange. En 2016, c’est au tour de l’opérateur historique d’entame des négociations avancées avec Bouygues Telecom pour le racheter.
A chaque fois, le passage de quatre à trois opérateurs a échoué sous la pression de l’Autorité de la concurrence en France ou de la Commission européenne qui redoutent qu’une telle consolidation se fasse au détriment des consommateurs, ou de la frilosité de l’Etat français, actionnaire d’Orange. Enfin, le partage des fréquences, des abonnés et des infrastructures rend l’opération financière particulièrement complexe.
Débarrassée d’une partie de sa dette, la mariée est plus belle
En ce printemps 2025, Le Figaro spécule cette fois sur une possible vente de SFR. Altice, sa maison mère, a apuré une partie de sa dette abyssale, et poursuit la vente par appartements. Après la cession d’Altice Media (BFM TV, RMC…) à CMA CGM, d’une partie de ses centres de données au fonds de la banque américaine Morgan Stanley ou des 49 % du capital de La Poste Mobile vendu à Bouygues Telecom, le groupe français pourrait se délester de XpFibre, son réseau de fibre optique.
Cette fois, Altice serait officieusement vendeur de SFR. « Patrick Drahi veut tourner la page des télécoms en France », selon une source proche de l’homme d’affaires citée par Le Figaro. Selon le quotidien, de nombreux prétendants seraient dans les starting-blocks. Bouygues et Orange auraient rencontré les banques d’affaires J.P. Morgan et Citi tandis que Free ne cache sa volonté de grandir par opérations de croissance externe.
Alors que le marché connaît de fortes tensions en particulier sur le mobile, le retour à trois opérateurs permettait aux acteurs de restaurer leurs marges. A l’automne dernier, Orange et Bouygues envisageaient différentes mesures – gel des embauches, départs anticipés à la retraite…. – pour réduire leur masse salariale.
SFR n’est toutefois officiellement pas à vendre. Altice communique, au contraire, sur la relance commerciale du deuxième opérateur français. Pour stopper le fuite de ses abonnés, avec plus d’un million de clients perdus en un an lors de ses derniers résultats, il s’agirait de renouer avec la qualité de service et la satisfaction client. Fin 2023, Altice avait néanmoins pris la température de l’eau en échangeant avec plusieurs opérateurs.
Trop gros pour être englouti en un morceau
Altice se montrerait aujourd’hui plus conciliant mais les règles du jeu ont changé en dix ans. Pour Le Figaro, aucun des trois opérateurs cités ne peut espérer engloutir à lui seul SFR et obtenir le feu vert de Bruxelles. En s’emparant de son dauphin, Orange détiendrait 80 % de part de marché. Son rachat par Bouygues Télécom ou Free donnerait, lui, naissance vie à un groupe de taille équivalente à Orange. Pour la quotidien, cela « entraînerait un duopole et la mort du troisième opérateur restant. » Un scénario impensable.
Pour que la consolidation réussisse, il faudrait qu’un opérateur se porte acquéreur puis cède des « morceaux » de SFR aux deux autres. « Le candidat naturel pour mener cette opération est Bouygues, vu notamment l’accord de mutualisation de leurs réseaux mobiles qu’il a noué avec SFR depuis 2014 et pour dix ans encore », juge Le Figaro. Échaudé près l’échec du rachat en 2016 par Orange puis de la fusion entre TF1 et M6, le groupe de BTP attendrait un feu vert plus ou moins implicite des autorités françaises de concurrence avant de se lancer.
Un opérateur saoudien, émirati ou indien ?
Quid par ailleurs de Bruxelles ? Alors que le rapport Draghi propose de favoriser les fusions et opérations transfrontalières, la Commission européenne pourrait adoucir sa position. Le régulateur britannique a récemment autorisé la fusion entre Vodafone et Three au Royaume Uni. La question pourrait se poser en Italie avec la possible vente de Telecom Italia.
Enfin, Patrick Drahi pourrait se tourner vers des acteurs étrangers, plus à même de satisfaire ses prétentions. Alors que SFR serait valorisé 20 milliards d’euros, le milliardaire en demanderait 25 milliards selon Le Figaro. Le journal cite l’opérateur saoudien Said Telecom Company (STC) – déjà premier actionnaire de l’espagnol Telefónica – ou l’émirati Etisalat (Emirates Telecommunications Corporation), proches de l’homme d’affaires.
Autre nom avancé : l’indien Bharti Airtel qui s’est emparé, l’été dernier, des 24,5 % du capital de British Telecom (BT) qu’Altice possédait. L’acquisition de SFR par un opérateur étranger éloignerait la menace d’un bouclier antitrust mais laisserait le marché à… quatre opérateurs.